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Les vieux Noëls d’Ernest Gagnon

6 décembre 2012 | Jean-Marie Lebel, historien

Les vieux Noëls d’Ernest Gagnon
Quand vient le temps des fêtes, les musiques de Noël émises par les
radios et diffusées dans les centres commerciaux éveillent les
souvenirs d’enfance et les nostalgies du bon vieux temps. Toutefois,
de nos jours, la « mondialisation » fait souvent en sorte que l'on
entende les mêmes airs d’un continent à l’autre. Le Québec a encore,
heureusement, certains cantiques de Noël qui lui sont typiques,
dont Dans cette étable , Dans le silence de la nuit, Nouvelle agréable
ou D’où viens-tu bergère ? Et l'on doit cela à Ernest Gagnon.


LE PIANO DE BERNARDINE


Lorsqu’on entre dans notre vieille
basilique-cathédrale Notre-Dame de
Québec et que les grandes orgues y
retentissent, on a l’impression que
l’âme d’Ernest Gagnon y rôde toujours.
Peut-être n’y fut-il pas l’organiste le plus
talentueux, mais il y fut le plus populaire,
tellement était grande sa vénération pour
le patrimoine musical de son peuple.


Ernest Gagnon a vu le jour en 1834, audelà
de Trois-Rivières, à Louiseville. Tout
jeune enfant, sa vie fut bouleversée pour
toujours lorsqu’un piano entra dans la
maison pour sa grande soeur Bernardine.
Le père de famille, un notaire, avait pu
faire cette précieuse acquisition. Le
petit Ernest en était si émerveillé que sa
grande soeur, après s’être fait quelque
peu prier, accepta de lui donner ses
premières leçons de piano. Il put parfaire
sa formation musicale lors de ses études
au collège de Joliette, puis auprès de
professeurs à Montréal.


Gagnon avait 19 ans lorsqu’il vint s’établir
à Québec en 1853. Malgré son jeune âge,
il s’était vu confier le poste d’organiste
du nouveau temple du faubourg, l’église
Saint-Jean-Baptiste.

L’organiste Ernest Gagnon
L’organiste Ernest Gagnon

L’ÉBLOUISSEMENT DU MINUIT, CHRÉTIENS


En 1857, Gagnon se rendit à Paris pour se
perfectionner auprès du réputé organiste
Auguste Durand. Lors de la messe de
minuit de cette année-là, à l’église
Saint-Roch de Paris, il s’installa auprès
de son maître qui y était organiste.
Gagnon entendit alors pour la première
fois le fameux Minuit, chrétiens qu’avait
composé quelques années auparavant
Adolphe Adam, un compositeur
parisien d’opéras comiques. Il en fut
si ému que dès l’année suivante, à son
retour à Québec, il le fit connaître à ses
contemporains.


Gagnon reprit son poste à l’église
Saint-Jean-Baptiste, portant de plus en
plus ombrage au prétentieux organiste de
la cathédrale, Antoine Dessane, originaire
de France. Par des lettres publiées
dans les journaux, ils se disputèrent à
propos d’aspects techniques du métier
d’organiste et de la restauration du
plain-chant. Les gens de Québec qui,
pour la plupart, n’y comprenaient rien
se rangèrent quand même du côté de
Gagnon. Un coup d’éclat se produisit en
1864 lorsque Dessane, irrité, quitta les
grandes orgues de la cathédrale et que le
curé engagea Gagnon pour lui succéder !


UN PATRIMOINE SI VULNÉRABLE


Gagnon se rendait bien compte que les
chansons folkloriques de sa patrie, se
transmettant uniquement de mémoire,
devaient être préservées. Calepin en main,
il se mit à écouter les vieux chanteurs
et à prendre note des paroles et des
musiques. C’est ainsi qu’il put publier en
1865 son fameux recueil intitulé Chansons
populaires du Canada. Ce livre, qui s’ouvre
avec À la claire fontaine, fut réédité à de
nombreuses reprises.


Gagnon décida d’en faire tout autant
pour les vieux cantiques de Noël. Leurs
interprétations variaient de paroisse
en paroisse et ils devenaient de plus en
plus méconnaissables. Gagnon en fit
une sélection, puis les harmonisa pour
voix mixtes, orgue ou piano. Son recueil
Cantiques populaires du Canada français,
paru en 1897, eut un grand impact au
Québec. À compter de cette époque,
ce furent surtout les cantiques choisis
par Gagnon qui furent interprétés dans
nos églises. Plus tard, ce furent aussi
ces cantiques que nos ténors, les Raoul
Jobin, Richard Verreau ou Marc Hervieux,
chantèrent et enregistrèrent.


DANS LE SILENCE DE LA NUIT


En plus d’être un populaire organiste,
Gagnon fut un professeur de musique
strict mais apprécié au Séminaire de
Québec, à l’École normale Laval et au
couvent des Ursulines.


Un jour que Gagnon s’était rendu au
couvent des Ursulines, il entendit les
petites élèves pratiquer un cantique
de Noël qu’il ne connaissait point.
L’air, qui était si doux et méditatif, le
toucha. Les ursulines lui apprirent que
ce cantique avait été composé par un
ancien aumônier de leur couvent, l’abbé
Jean-Denis Daulé, qui avait fui la France
lors de la Révolution française et qui
s’était réfugié dans leur couvent avec son
violon. Gagnon fit connaître ce cantique
au grand public. Le choeur V’là l’bon vent
et les Petits chanteurs de la Maîtrise de
Québec en ont fait depuis de magnifiques
enregistrements.

Les personnages en plâtre de la crèche de la cathédrale
Les personnages en plâtre de la crèche de la cathédrale


Gagnon avait fait de Québec sa patrie. Sa
figure ronde et joviale devint familière
aux citoyens de la ville. C’était un homme
fier, qui ne doutait pas de ses talents. Il
consacrait ses loisirs à la rédaction de
livres sur l’histoire de Québec. Il fut de son
temps l’un des plus grands connaisseurs de
l’histoire de cette ville. La biographie qu’il
consacra à Louis Jolliet, le découvreur du
Mississippi, se lit encore aujourd’hui avec
beaucoup d’intérêt.


Ernest Gagnon termina sa vie dans sa villa
Bois-Jolliet de la Grande Allée, qui devint
plus tard le presbytère de l’église Saint-
Coeur-de-Marie. Il décéda en 1915. Aux
grandes orgues de la cathédrale lui avait
succédé son frère Gustave. Et plus tard,
ce fut le fils de ce dernier, Henri, qui lui
succéda. C’est ainsi que durant un siècle,
de 1864 à 1961, ce furent des Gagnon qui
montèrent l’étroit et apique escalier qui
mène au jubé de la cathédrale, pour y jouer
les musiques des cantiques de la vieille
France et de la Nouvelle-France, si chers à
leurs compatriotes.


À nos fidèles ou nouveaux lecteurs, je
transmets mes meilleurs voeux.



SOURCES DES ILLUSTRATIONS : Cartes de voeux de
la collection de l’auteur. Le portrait d’Ernest Gagnon
provient de la collection de M. Yves Beauregard.

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