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Un déjeuner que le cardinal Bégin n’oublia jamais

8 novembre 2011 | Jean-Marie Lebel, historien

Un déjeuner que le cardinal Bégin n’oublia jamais
Le cardinal Bégin est plutôt oublié aujourd’hui. Il y a bien le nom d’une avenue du quartier Montcalm qui en rappelle la mémoire ou encore, un vitrail du sanctuaire du Montmartre du chemin Saint-Louis qui nous le montre dans sa soutane rouge, mais bien peu de gens peuvent évoquer quelconques souvenirs à propos de l’archevêque disparu. Nous relaterons ici un événement qui s’est produit il y a exactement 90 ans, en novembre 1921.


Rendu bien loin de Sorosto


Louis-Nazaire Bégin avait célébré ses 81 ans en janvier. Il était l’archevêque de Québec en titre depuis 23 ans, soit depuis 1898. Mais en réalité, il l’était depuis plus longtemps, car il avait dû auparavant administrer le vaste diocèse durant la longue maladie du cardinal Taschereau.

Le cardinal Bégin
Le cardinal Bégin

Le cardinal Bégin n’oubliait point son Sorosto natal, auquel il était demeuré attaché. Dans Saint-Louis-de-Pintendre, le deuxième rang de la seigneurie de Lauzon portait, en effet, le très vieux nom amérindien de Sorosto. Son père, Charles Bégin, était un modeste agriculteur. (La ferme familiale disparaîtra au début des années 1960 pour permettre le passage de l’autoroute transcanadienne.)


Brillant élève à l’école modèle de Lévis et au collège industriel de Saint-Michel-de-Bellechasse, Louis-Nazaire, sixième des dix enfants de la maisonnée, vit ses parents demander son admission au Petit Séminaire de Québec. Et dans cette institution, il se fit remarquer par son intelligence. Quelques années plus tard, Mgr Taschereau l’envoya étudier à Rome. Il y fut d’ailleurs ordonné prêtre dans la prestigieuse basilique de Saint-Jean-de-Latran, en 1865.


Un homme fort occupé et préoccupé


Revenu à Québec, le jeune abbé Bégin fut professeur au Séminaire et à l’Université Laval. Ce furent toutefois ses publications savantes et ses talents d’administrateur comme directeur de l’École normale Laval qui le menèrent à l’épiscopat, d’abord à Chicoutimi, puis à Québec. C’était un homme d’une grande culture, qui s’intéressait beaucoup à l’histoire du Canada. Il eut toujours une santé délicate, ce qui ne l’empêcha point d’abattre beaucoup de boulot. Il fut considéré d’avant-garde, se préoccupant des conditions ouvrières et fondant un journal quotidien, L’Action catholique.


La chapelle et le monastère de la rue Fleurie
La chapelle et le monastère de la rue Fleurie

Dans une maison de la rue Fleurie


À l’aube du 28 novembre 1921, le vieux cardinal Bégin quitta son palais archiépiscopal de la haute-ville pour descendre dans le quartier Saint-Roch. On le vit entrer dans une modeste maison de la rue Fleurie. C’était alors le premier monastère à Québec de la congrégation des Servantes du Très-Saint-Sacrement. Cette congrégation, vouée à la contemplation, avait été fondée à Paris en 1853 et ouvrit sa première maison canadienne à Chicoutimi en 1903. Répondant à l’appel du père Auguste Pelletier, curé de la paroisse du Très-Saint-Sacrement du chemin Sainte-Foy, des religieuses de la congrégation étaient venues de Chicoutimi en 1920 s’établir à Québec, dans une ancienne maison familiale de la rue Fleurie. (Ce ne sera qu’en 1930 qu’aura lieu l’inauguration de leur beau monastère de la 18e Rue du quartier Limoilou, et qui sera connu sous le nom de Mont-Thabor.)


Ces religieuses, qui ne sortaient jamais de leur maison de la rue Fleurie, ne manquaient point d’intriguer les citoyens de Saint-Roch. Elles n’étaient ni enseignantes, ni infirmières. Elles ne faisaient que prier, et cela, en plein cœur d’un quartier populeux, ouvrier, bruyant. Elles étaient vêtues de blanc.


Un mets inattendu


Revenons à notre matinée du 28 novembre 1921. Ce jour-là, le cardinal avait été invité à venir célébrer la messe dans la nouvelle petite chapelle, bénie la veille, contiguë à la maison des religieuses de la rue Fleurie. (Tout cela a disparu. Il ne reste plus, de nos jours, que quelques maisons de la rue Fleurie, situées entre les rues de la Chapelle et du Pont.)


La sœur Marie-Virginie
La sœur Marie-Virginie

Après la messe, le cardinal se rendit à l’humble réfectoire pour y déjeuner en compagnie des religieuses. L’économe, sœur Marie-Virginie, qui n’avait que 27 ans, voyait à tout. On racontait qu’elle avait un jour disputé la cuisinière, trop généreuse, qui s’était permis de donner deux desserts à un repas à certaines religieuses. Ayant peu de revenus et ne comptant que sur quelques bienfaiteurs, la congrégation vivait pauvrement. L’achat du charbon était un véritable casse-tête pour la jeune économe.


Quelle ne fut pas la surprise du cardinal, après le bénédicité, d’apercevoir sur la table son mets préféré ! « Comment se fait-il que des petites sœurs venues de Chicoutimi sachent que leur archevêque aime la compote de citrouille ? s’exclama-t-il. Qu’elles sont fines ces petites sœurs-là ! » Le cardinal était bouleversé. En dégustant sa portion, ému, les larmes aux yeux, il déclara soudainement : « Elle est bonne. Tout comme celle que nous préparait maman, lorsque nous étions jeunes. »


’Ce n’est nul autre que Mgr Robert Lagueux, le curé de Saint-Roch, qui avait secrètement prévenu les religieuses de la faiblesse de l’austère cardinal Bégin pour la fameuse compote de citrouille à la mélasse.


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