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Charles Baillairgé : un personnage fascinant… et pas toujours reposant

9 mars 2014 | Jean-Marie Lebel, historien

Charles Baillairgé  :  un personnage fascinant… et pas toujours reposant

À l’époque du long règne de Victoria, Charles Baillairgé était un citoyen connu de tous à Québec et l’un des plus fascinants. Il se mêlait de tout, se prononçait sur tout. Ingénieur civil, architecte, arpenteur, urbaniste, mathématicien, linguiste, père de vingt enfants, auteur prolifique, populaire conférencier, l’ingénieux Charles Baillairgé ne laissait personne indifférent.



Il construisit la première automobile en Amérique



On raconte que le jeune Charles Baillairgé trouvait le temps bien long au Petit Séminaire, s’impatientant, voulant toujours en savoir plus, se passionnant pour les sciences et les techniques. Né en 1826 dans un Vieux-Québec qu’il ne quittera guère, Charles Baillairgé appartenait à une vieille famille d’architectes, de peintres et de sculpteurs. C’est son arrière-grand-père, Jean Baillairgé, qui avait reconstruit la cathédrale et l’église Notre-Dame des Victoires après les bombardements de la Conquête.



En 1843, Charles Baillairgé n’avait que 17 ans lorsqu’il fabriqua un véhicule se déplaçant à l’aide d’un moteur à vapeur à deux cylindres. Selon certains spécialistes, ce ne serait rien de moins que la première automobile à avoir été fabriquée en Amérique du Nord. Mais ce véhicule était terriblement bruyant, à un point tel que les autorités lui défendirent de l’utiliser dans les rues de la ville, car il apeurait les chevaux.



Charles Baillairgé arborant ses décorations



Charles Baillargé arborant ses décorations



 



Les bouquins étaient ses maîtres



C’est dans l’atelier de Thomas Baillairgé, un cousin de son père, que Charles Baillairgé apprit le métier d’architecte, non en écoutant le vieux maître, mais plutôt en lisant les traités d’architecture qu’il trouva dans sa bibliothèque. À compter de la fin des années 1840, il se révéla à son tour un bon architecte. De ses nombreuses réalisations, on peut encore admirer, de nos jours, l’ancienne grande université dans le Vieux-Québec, la prison des plaines d’Abraham, l’hôtel Clarendon, la maison de la famille De Koninck de l’avenue Sainte-Geneviève, la chapelle historique du Bon-Pasteur et, l’oeuvre dont il était le plus fier, la magnifique église gothique de Sainte-Marie de Beauce.



Lorsqu’une dispute avec Mgr Charles-François Baillargeon lui fit perdre les contrats des institutions religieuses, il entra au service du gouvernement canadien. De nouveaux démêlés le laissant sans emploi, Charles Baillairgé se concentra alors surtout sur ses talents d’ingénieur civil. Ce grand lecteur était un ingénieur autodidacte.



La chapelle historique du Bon-Pasteur, à Québec.



La chapelle historique du Bon-Pasteur, à Québec.



 



Sa terrasse Dufferin et ses grands escaliers



Employé par la municipalité de Québec, Charles Baillairgé fut l’ingénieur de la Cité, de 1866 à 1898. Il nota soigneusement toutes ses réalisations et la liste en est fort longue. Des oeuvres importantes lui survivent.



La terrasse Dufferin a été inaugurée en 1879. C’est l’une des plus célèbres promenades au monde. Son apparence a peu changé depuis qu’elle a été conçue par Baillairgé. C’est à lui que l’on doit les bancs publics en bois aux soutiens en fonte, le luminaire aux globes blancs, la belle rampe de fer moulé et les kiosques aux toitures vertes et blanches.



De beaux vieux escaliers en fonte et en bois relient la basse et la haute-ville de Québec. C’est aussi à Baillairgé que nous les devons. On peut d’ailleurs encore lire son nom sur les arcs d’entrée de l’escalier Saint-Augustin, ou « l’escalier Lépine ». Son escalier Sainte-Claire, ou « escalier du Soleil », est particulièrement remarquable.



Dans ses loisirs, Baillairgé a beaucoup parlé et beaucoup écrit. Doté d’une voix forte, il fut un populaire conférencier, sachant rendre accessibles les sciences physiques et les mathématiques. Passionné des langues française et anglaise, il produisit même un dictionnaire et des lexiques. Il est l’auteur de pas moins de 250 livres et articles.



Un génie pas toujours reposant



Christina Cameron, qui s’est beaucoup intéressée à Charles Baillairgé et à son immense oeuvre, trace de lui ce portrait : « Curieux, énergique, inventif, anticonformiste infatigable, confiant, enthousiaste, honnête et plein d’humour, il pouvait aussi se montrer agressif, abrupt, ambitieux, opiniâtre, querelleur et orgueilleux. » Son franc-parler froissait des gens. Lorsqu’il publia, en 1898, son livre Divers, ou les enseignements de la vie, un gros ouvrage de 688 pages, des membres de sa famille s’empressèrent, discrètement, d’en retirer tous les exemplaires des librairies.



Charles Baillairgé avait beaucoup fait pour sa ville, mais il était persuadé qu’il aurait pu faire encore plus si des esprits rétrogrades ou réducteurs n’avaient pas bloqué plusieurs de ses projets, dont ceux d’un aquarium sous la terrasse Dufferin (les promeneurs auraient vu des requins sous leurs pieds), d’une « tour Eiffel » avec des glissades à la place d’Armes, d’un hôtel du Parlement de Québec aussi imposant que le Capitole de Washington…



Baillairgé termina ses jours dans la belle et commode maison qu’il s’était fait construire, rue Saint-Louis. Au Château Frontenac, lors du grand banquet célébrant l’arrivée du 20e siècle, c’est naturellement Baillairgé qui dressa le bilan des inventions du 19e siècle. Ses abonnements à des publications scientifiques étrangères en firent, jusqu’à la fin, l’un des hommes les plus savants à Québec.



Il décéda en 1906 à l’âge de 79 ans. Ses funérailles eurent lieu à la basilique. C’est lui qui avait conçu la belle grille en fer moulé du parvis de cette basilique. Le corbillard attelé à quatre chevaux emprunta le chemin Sainte-Foy et passa devant le beau monument des Braves. C’est d’ailleurs Baillairgé qui avait conçu ce monument un demi-siècle plus tôt. L’enterrement eut lieu au cimetière Notre-Dame-de-Belmont. Oui, c’est bien Baillairgé qui avait fait les plans et aménagé ce cimetière. Décidément, à Québec aussi bien qu’au-delà, rien ne lui était étranger.



 



Source : Les illustrations proviennent du livre de Christina Cameron : Charles Baillairgé, Architect & Engineer, 1989.

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