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Félix-Antoine Savard

16 juillet 2014 | Jean-Marie Lebel, historien

Félix-Antoine Savard

L’écrivain qui décida de fabriquer son papier



Peuvent rencontrer des fantômes dans le Vieux-Québec ceux qui veulent bien en rencontrer et qui savent où les trouver. Bien entendu, le fantôme de Mgr Félix-Antoine Savard, le célèbre auteur du roman Menaud, maître-draveur, hante surtout les montagnes de Charlevoix, mais on peut aussi le rencontrer dans le Vieux-Québec, sur les remparts, à l’ombre de sa chère vieille université.



Une solide maison dominant un grand fleuve



Sur la façade de l’imposante maison du 2, rue des Remparts, une plaque commémorative nous rappelle que Félix-Antoine Savard y résida bon nombre d’années. Cette maison, qui affronte bravement les terribles bourrasques du nordet, domine le fleuve. Et elle est dominée à son tour par le vieux pavillon central de l’Université Laval que le recteur Louis-Jacques Casault avait inauguré en 1854 et dont les plans avaient été réalisés par l’architecte Charles Baillairgé. C’est dans ce vieux pavillon que Félix-Antoine Savard enseigna la littérature française à compter de 1943. Il y fut, de plus, l’inspirant doyen de la Faculté des lettres de 1950 à 1957.



Félix-Antoine Savard avait 47 ans lorsqu’il vint s’établir à Québec pour y enseigner. Il était né en 1896, avait grandi à Chicoutimi. Il avait été le curé fondateur de la paroisse de Clermont en 1931, au nord de La Malbaie, et avait accompagné de nouveaux colons en Abitibi. C’est dans la solitude de son presbytère de Clermont qu’il avait écrit son Menaud, maître-draveur. Et c’est ce roman, publié en 1937, qui l’entraîna, un peu malgré lui, vers une carrière universitaire.





Félix-Antoine Savard et son premier maître-papetier, Georges Audet.- Source : Collection de M. Cyril Simard



À quelques pas de l’Université Laval, le nouveau professeur s’était donc trouvé une résidence, rue des Remparts, et celle-ci avait jadis été la demeure du maire Georges Tanguay, un prospère marchand de grains. Dans le Vieux-Québec, se déplaçant toujours à pied, Mgr Savard devint un client de la librairie Garneau de la rue Buade et de l’épicerie fine Bardou de la rue Couillard. Avec le professeur Luc Lacourcière, il s’intéressa aux contes et aux chansons venus de France avec nos ancêtres et que l’on pouvait encore entendre ici et là.



Sous le patronage de Saint-Gilles, du papier fait main



Félix-Antoine Savard acquit en 1961 une maison à Saint-Joseph-de-la-Rive, modeste village de Charlevoix, au pied de la grande côte des Éboulements. Comme pour sa résidence de Québec, il y avait vue sur le fleuve. C’est là qu’il s’établit pour vivre sa retraite. Ne cessant point d’écrire, autant que possible sur de beaux papiers faits à partir de tissus, Mgr Savard déplorait que ceux-ci vinssent d’ailleurs et que l’on n’en produise plus au Québec depuis le 19e siècle. À compter de 1962, il se mit à songer tout haut à la création d’une fabrique de papier fait main. Le projet était ambitieux et coûteux. Heureusement, Mgr Savard convainquit son riche ami Mark Donohue de s’en faire le mécène.



Mgr Savard trouva dans le brave Georges Audet, qui appartenait à une famille de constructeurs de goélettes, celui qui allait devenir son premier maître-papetier. Mais il fallait le former et personne au Québec ne pouvait lui enseigner l’art ancien de fabriquer du papier fait de tissus. On ne savait plus au Québec produire que du papier fait de pulpe de bois. Georges Audet se rendit donc en 1965 auprès du papetier Morris à Philadelphie, puis à la très ancienne papeterie de Richard de Bas en Auvergne. Il apprit donc ainsi à fabriquer du papier à partir de chiffons de coton.



La papeterie de Mgr Savard put enfin amorcer ses activités pour de bon en 1966. Elle fut installée dans la vieille école paroissiale de Saint-Joseph-de-la-Rive, qui avait été construite en 1934 et que les écoliers avaient abandonnée en 1964. La papeterie s’y trouve encore de nos jours. Son nom de papeterie Saint-Gilles, d’allure médiévale, lui vient d’une tante de France du bienfaiteur Mark Donohue : Alice Béant de Saint-Gilles. Avec beaucoup de fierté, le maître-papetier Georges Audet aimait montrer son art aux visiteurs de la papeterie, à ceux qui étaient curieux d’apprendre. Il se moquait gentiment des gens qui prétendent tout savoir et qu’il appelait « les petits Jos connaissants ».





La maison de la rue des Remparts où vécut Félix-Antoine Savard. Au second plan : la vieille Université Laval. Sur le lanterneau flotte le drapeau du Séminaire de Québec. - Photo : Daniel Abel



Un héritage bien vivant



À la fin de sa vie, Félix-Antoine Savard quitta Charlevoix et vint terminer ses jours à Québec, au Pavillon Saint-Dominique. Il y décéda en 1982, à 86 ans. Ses funérailles eurent lieu à la basilique-cathédrale de Québec, pas très loin de son ancienne résidence de la rue des Remparts. Selon le souhait de Mgr Savard, c’est Cyril Simard qui prit sous son aile la destinée de la papeterie. Cet architecte et designer, originaire de Baie-Saint-Paul, avait dirigé la Centrale d’artisanat du Québec à Montréal. C’était un passionné de la transmission des métiers d’art et des savoir-faire traditionnels. Tout en voyant à la bonne marche de la papeterie, il y consacra sa thèse de doctorat. L’idée d’associer lieu de fabrication et lieu de connaissance lui vint. Et c’est ainsi qu’il mit sur pied le réseau des économusées et le premier des économusées fut tout naturellement, en 1988, la papeterie Saint-Gilles. 



Depuis son ouverture, la papeterie fondée par Félix-Antoine Savard a attiré plus d’un demi-million de visiteurs, venus de tous les coins du monde. L’héritage de Mgr Savard est toujours bien vivant.



*Nous tenons à souligner notre gratitude à M. Cyril Simard qui, un après-midi durant, nous a évoqué ses souvenirs de Félix-Antoine Savard et nous a raconté l’histoire de la papeterie Saint-Gilles.



 



 



 



 



 



 



 



 


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