PUBLICITÉ

Harcèlement… ou quand l’enfer, c’est les autres !

10 février 2015 - Par Johanne Martin

Une semaine après l’arrivée de Suzanne à son nouveau poste, sa supérieure lui laisse clairement entendre qu’elle n’est pas favorable à sa mutation. Progressivement, sa charge de travail augmente et on lui demande presque invariablement de recommencer ses tâches en lui répétant qu’elle n’est pas à la hauteur.

Bientôt, la supérieure de Suzanne ne communique avec elle qu’à l’aide de notes de service et les membres de son équipe n’ont plus la possibilité de la consulter. Pendant près d’un an, Suzanne encaisse le coup avant de s’absenter, complètement anéantie, pour un congé de maladie. Un cas isolé ? Au travail comme dans la vie privée, les situations de harcèlement sont plus fréquentes qu’on ne le croit. 

En 2014, soit 10 ans après l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions à la Loi sur les normes du travail relativement au harcèlement psychologique, un premier bilan est dressé. En l’espace d’une décennie, quelque 23 900 plaintes ont été enregistrées à la Commission des normes du travail (CNT), ce qui correspond à une moyenne de 2 300 dossiers sur une base annuelle.

Au travail comme dans la vie privée, les situations de harcèlement sont plus fréquentes qu’on ne le croit. 

« Ce que le profil des plaintes reçues nous apprend, c’est que 82 % des cas allégués étaient à caractère répétitif et que trois fois sur quatre, au moins une des personnes mises en cause dans la plainte déposée était en situation de gestion, majoritairement suivant un lien hiérarchique », révèle Me Johanne Tellier, directrice des affaires juridiques du Centre de Montréal de la CNT. 

Si 60 % des plaintes transmises le sont par des femmes, les secteurs d’activité les plus touchés sont ceux de l’hôtellerie, des restaurants et des bars ; du commerce de détail ; et de la santé et des services sociaux. « Il s’agit de secteurs qui sont habituellement non syndiqués », précise en outre Me Tellier, qui indique qu’un changement de gestionnaire est souvent cité comme élément déclencheur.

Remarques blessantes, isolement, retrait de dossiers ou de fonctions, détermination d’objectifs irréalistes, contacts physiques non désirés ou inappropriés, sifflements, mauvaise blague : les manifestations du harcèlement peuvent prendre diverses formes. Et lorsqu’une telle conduite est portée à sa connaissance, l’employeur a l’obligation de prendre les moyens raisonnables pour la faire cesser.

« À partir du moment où une plainte est reçue chez nous, et avant même d’enclencher le processus d’enquête, nous offrons la possibilité de participer à une séance de médiation sur une base volontaire, parce que ce que nous voulons, c’est qu’il y ait le moins de dommages possible. Car pour tout le monde, une plainte pour harcèlement, c’est bouleversant et dérangeant », intervient l’avocate.

À toutes les phases de la démarche, d’ailleurs, la médiation est possible. À cet égard, la directrice des affaires juridiques note que la quasi-totalité des dossiers se conclut sans dépôt à la Commission des relations du travail. Dans les faits, de 80 % à 90 % des plaintes se règlent avant l’étape ultime du procès. Les parties concernées ont au surplus accès à plusieurs outils dans le site Internet de la CNT.  

« Les conséquences du harcèlement au travail sont nombreuses. Une baisse de productivité peut, par exemple, engendrer des représailles de la part de l’employeur. Sans compter la hausse des absences pour cause de maladie. Il faut poursuivre les efforts de prévention et de sensibilisation, parce que le harcèlement fait beaucoup de ravages. Il importe de dénoncer le plus tôt possible et d’interpeller les gestionnaires. »

Quelques définitions…
On entend par « harcèlement psychologique  » une conduite vexatoire se manifestant soit par des comportements, des paroles, des actes ou des gestes répétés, qui sont hostiles ou non désirés, laquelle porte atteinte à la dignité ou à l’intégrité psychologique ou physique du salarié et qui entraîne, pour celui-ci, un milieu de travail néfaste. Une seule conduite grave peut aussi constituer du harcèlement psychologique si elle porte une telle atteinte et produit un effet nocif continu pour le salarié. - Source : Loi sur les normes du travail
L'article 264 du Code criminel définit quant à lui le harcèlement criminel comme le fait de suivre de façon répétée une personne ou de tenter de façon répétée de communiquer avec elle, incluant le fait de surveiller sa maison ou son lieu de travail et le fait de la menacer. Le harcèlement criminel donne à la victime un motif raisonnable de craindre pour sa sécurité ou celle d'un proche.

 

Au travail… comme dans la vie privée

S’il cause des dégâts considérables en milieu de travail, dégâts dont l’impact économique est difficile à évaluer, puisque tous les cas ne sont malheureusement pas rapportés, le harcèlement constitue aussi un phénomène préoccupant dans la sphère privée. En 2014, sur le territoire couvert par le Service de police de la Ville de Québec (SPVQ), 190 dossiers de harcèlement en matière conjugale ont par exemple été ouverts.

Bien que stable – depuis 2008, on enregistre en moyenne 200 plaintes par année à la suite desquelles une enquête policière est menée –, le nombre de cas ne doit pas faire perdre de vue l’impact du harcèlement dans la vie de chaque victime : difficulté à dormir, à manger, consommation de drogue et d’alcool, absentéisme au travail, problèmes de concentration et irritabilité figurent au nombre des manifestations les plus courantes.

Quelques chiffres…
En 10 ans, quelque 23 900 plaintes ont été enregistrées à la Commission des normes du travail (CNT), ce qui correspond à une moyenne de 2 300 dossiers sur une base annuelle.
En 2014, sur le territoire couvert par le Service de police de la Ville de Québec (SPVQ), 190 dossiers de harcèlement en matière conjugale ont été ouverts. Depuis 2008, on enregistre en moyenne 200 plaintes par année à la suite desquelles une enquête policière est menée.

Le harcèlement peut prendre la forme d’une série de gestes répréhensibles, mais aussi d’un seul acte accablant.

Selon la sergente Josée Laflamme de la Sûreté du Québec, lorsqu’une personne a des motifs raisonnables de craindre pour sa sécurité, il devient nécessaire d’agir. « Ce qu’il faut faire, c’est de prendre des notes de ce que l’on vit, de dresser l’historique des événements et d’indiquer comment on se sent et quelles répercussions la situation a sur soi pour ensuite déposer une plainte à la police », détaille-t-elle.

Le harcèlement peut prendre la forme d’une série de gestes répréhensibles, mais aussi d’un seul acte accablant. « Quand la victime est capable de le faire, elle ne doit pas hésiter à exprimer son malaise et à dire à son agresseur : “Arrête, c’est du harcèlement que tu fais !” », signale au passage le capitaine Mario Vézina, responsable du module des crimes majeurs au SPVQ.

Quant à savoir quel portrait type présente l’agresseur, le capitaine Vézina parle d’individus « manipulateurs, qui ne se soucient pas des conséquences de leurs comportements, dominants et rancuniers. Il y a évidemment une proportion de gens qui sont atteints de problèmes de santé mentale. » Une personne reconnue coupable est passible d’une peine d’emprisonnement maximale de 10 ans, ajoute-t-il.

Les différents corps de police insistent pour faire valoir le rôle non négligeable qu’ils jouent auprès des victimes. « Notre travail ne consiste pas juste à prendre la plainte, mais un volet important de notre mandat, c’est la victime. On la tient au courant du cheminement du dossier, on la rassure et l’accompagne ; elle est au cœur de l’intervention policière », poursuit le responsable du module des crimes majeurs.

« Il faut amener les gens à dénoncer les agresseurs, et les victimes ne doivent pas avoir peur, ne doivent pas avoir honte. »

Les policiers peuvent également aider les personnes à s’outiller et les diriger au besoin vers des organismes partenaires, tels que les centres d’aide aux victimes d’actes criminels, les CAVAC. En matière de prévention, la Sûreté du Québec a notamment mis en place, en 2007, un programme intitulé CAP – Capacité, action, prévention – sur la sécurité des femmes, une première au Québec.  

« Il faut amener les gens à dénoncer les agresseurs, et les victimes ne doivent pas avoir peur, ne doivent pas avoir honte », conclut la sergente Josée Laflamme.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Autres articles dans cette édition

PUBLICITÉ
PUBLICITÉ
Gérer le consentement