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Joseph-David Déziel, un bâtisseur de Lévis

2 juin 2011 | Jean-Marie Lebel, historien

Joseph-David Déziel, un bâtisseur de Lévis
La ville de Lévis doit beaucoup au curé Déziel. Bien des Lévisiens le considèrent d’ailleurs comme le fondateur de leur ville. On peut voir sa statue au cœur du Vieux-Lévis, et cela, à deux pas de la maison d’Alphonse Desjardins. Qui fut donc ce curé qui impressionna tant ses contemporains ?


Curé d’une paroisse difficile


Le Vieux-Lévis a 200 ans, la moitié de l’âge du Vieux-Québec. Lorsque les Anglais installèrent leurs canons sur la rive sud, en 1759, pour bombarder la capitale de la Nouvelle-France, il n’y avait alors que des fermes vis-à-vis Québec. Le village le plus proche, Saint-Joseph de la Pointe-Lévy, se trouvait à quelques kilomètres plus à l’est (où est aujourd’hui le Vieux-Lauzon). La Pointe-Lévy avait été ainsi nommée par Champlain en hommage à son vice-roi, le duc de Lévy.


C’est en 1843 que Joseph-David Déziel devint curé de Saint-Joseph de la Pointe-Lévy. C’était certes loin de Maskinongé, où il avait vu le jour en 1806. Cet ancien élève des séminaires de Montréal et de Nicolet avait fait ses premières armes comme curé à Rivière-du-Loup et à Saint-Pierre-les-Becquets.


Si l’évêque a choisi Déziel, c’est qu’il connaissait son fort caractère. Saint-Joseph de la Pointe-Lévy était une paroisse difficile, où il y avait de la dissension. La paroisse comptait deux villages à couteaux tirés. Il y avait le vieux village de Saint-Joseph de la Pointe-Lévy, où était l’église, et dont les habitants travaillaient aux chantiers maritimes des Davie. Puis, il y avait le village d’Aubigny (où se trouve aujourd’hui le Vieux-Lévis) qui avait pris forme depuis le début du siècle à l’instigation de John Caldwell. D’abord anglophone et protestant, le village était devenu majoritairement francophone et catholique. Les gens d’Aubigny, de plus en plus nombreux, ne voulaient plus se rendre à la messe dans l’autre village.


L’avenir est à l’ouest !


Le curé Déziel fut rapidement tiraillé. Les gens du vieux village de Saint-Joseph de la Pointe-Lévy avaient toujours mené la paroisse depuis la lointaine époque de Guillaume Couture, et s’opposaient aux prétentions des gens d’Aubigny d’avoir leur propre église. Mais, à leur grand désarroi, ils virent, en 1850, leur curé Déziel faire construire, malgré l’opposition de ses marguilliers, une grande église succursale à Aubigny : l’église Notre-Dame de la Victoire (elle existe toujours en 2011). Puis ils furent choqués de voir le curé Déziel et sa ménagère, Julie Ouellet, quitter leur vieux presbytère en 1852 pour s’établir près de la nouvelle église succursale. Ils ne leur pardonneront pas.


En 1853, les autorités diocésaines se plièrent à la volonté du curé Déziel et divisèrent la paroisse de Saint-Joseph de la Pointe-Lévy. C’est Déziel qui devint naturellement le premier curé de la nouvelle paroisse Notre-Dame de la Victoire, constituée du village d’Aubigny et des campagnes s’étendant jusqu’à la rivière Etchemin.


L’infatigable bâtisseur


Le curé Déziel dota sa paroisse d’importantes institutions. Afin d’éviter que les jeunes se rendent étudier à Québec et ne reviennent point, il fonda un collège en 1853 (qui deviendra le Collège de Lévis) et un couvent en 1858 (qui deviendra l’École Marcelle-Mallet). Préoccupé par le sort des orphelins et des vieillards, il ouvrit à leur intention, en 1879, l’Hospice Saint-Joseph de la Délivrance. Il envoyait son sacristain porter des provisions à des familles pauvres


Le village d’Aubigny ne cessait de croître et avait pris les allures d’une ville. Son expansion connaissait un bond important depuis l’arrivée du train en 1854, et cela, aux dépens de la ville de Québec qui, faute de pont, fut mise à l’écart du reste de l’Amérique.


Il y avait longtemps que le curé Déziel souhaitait l’indépendance de son village d’Aubigny. Enfin, en 1861, le village d’Aubigny fut retiré par le gouvernement provincial de la municipalité de Saint-Joseph de la Pointe-Lévy et devint la nouvelle cité de Lévis. Son nom rendait hommage au chevalier Gaston de Lévis, valeureux bras droit du marquis de Montcalm. Le premier maire de Lévis, le gros marchand Louis Carrier, ne manquait pas de demander conseil à l’influent curé Déziel.


La seule peur du curé Déziel


Durant près de 30 ans, le curé Déziel fut partout dans sa nouvelle paroisse, encourageant les entreprises de ses paroissiens, consolant les veuves, disputant les ivrognes, fondant des associations pieuses, s’enthousiasmant de la croissance de Lévis. Une terre à bois fut acquise en 1874 pour son grand cimetière Mont-Marie.


À compter du début de 1882, la santé du curé, qui avait toujours été plutôt frêle, se détériora grandement. Il se produisit alors quelque chose qui en surprit plusieurs. Ce curé, qui s’était si souvent rendu au chevet des mourants pour les réconforter, fut de plus en plus habité par la peur de la mort. Il n’en dormait plus et maigrissait à vue d’œil. On vit le curé de Québec traverser le fleuve pour venir discuter avec son confrère désespéré. Le pauvre curé de Lévis, scrupuleux et méticuleux, craignait d’avoir un jour ou l’autre, sans le vouloir, offensé et provoqué la perte de la foi d’un quelconque paroissien. Et si cela s’était effectivement produit, pour une seule âme perdue, il craignait d’être condamné aux flammes éternelles.


C’est dans son presbytère qu’il décéda le 25 juin 1882. Peu de temps auparavant, réconcilié avec la mort, il avait confié : « Jamais je n’aurais cru qu’il était si doux de mourir ». À la lecture de son testament, on apprit qu’il donnait ses livres au Collège de Lévis et sa montre en or à son neveu prêtre, et qu’il léguait 200 $ à sa ménagère, Julie Ouellet, une somme considérable pour l’époque.


La reconnaissance des Lévisiens fut grande. En 1885, à peine trois ans après sa mort, ils installaient une statue de leur curé-fondateur devant l’église. Les gens de Québec n’élèveront un monument à leur fondateur Champlain qu’en 1898 ! Si les Laurentides eurent leur curé Labelle, Lévis eut son curé Déziel.





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