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L’imprévisible destin de Mary Mahon

7 septembre 2012 | Jean-Marie Lebel, historien

L’imprévisible destin de Mary Mahon
Qui aurait pu prévoir qu’une petite orpheline irlandaise, perdue au fond des forêts, deviendrait, à compter des années 1860, l’une des femmes les plus influentes et les plus admirées de Québec ? Nous vous raconterons le destin de la courageuse Mary Mahon, un destin qui a étonné plusieurs de ses contemporains. Et, comme eux, vous n’oublierez pas de sitôt le récit de cette vie.


Une orpheline dans les Bois-Francs


Remontons d’abord en 1833. Les Bois-Francs étaient alors un territoire de colonisation. Le missionnaire Hubert Robson, de Drummondville, s’était rendu à Tingwick, pas très loin d’Arthabaska. Après la messe, marchant à l’orée de la forêt, il vit une petite fille en larmes s’approcher de lui et, s’exprimant en anglais, le prier de la suivre. Le prêtre suivit l’enfant dans la forêt et aboutit à une cabane en bois rond. Là, Peter Mahon agonisait, son épouse découragée à son chevet. Le prêtre apprit alors le nom de leur enfant, qui était venue le quérir. Elle s’appelait Mary Mahon. Quoiqu’elle n’eût que quatre ans, elle avait déjà de terribles souvenirs. Lors de la traversée de l’Atlantique avec ses parents, fuyant l’Irlande et la famine, un matelot s’était emparé d’elle et avait voulu la lancer dans les flots. La mère éplorée était intervenue à temps. Jamais Mary n’oubliera la figure maléfique de l’homme. Puis, lorsque sa famille s’était établie à Québec, c’est une « sauvagesse » qui avait voulu la jeter dans un feu. Encore une fois, Mary, qui criait d’effroi, avait été sauvée au dernier instant. Et, il y avait eu l’épuisant voyage pour s’installer dans les Bois-Francs. Le prêtre donna l’extrême-onction au malheureux Mahon et lui promit qu’il deviendrait le protecteur de la jeune enfant si elle devenait un jour orpheline.


Mary Mahon, devenue la mère Saint-Louis.
Mary Mahon, devenue la mère Saint-Louis.

Revenant à Tingwick quelques mois plus tard, le missionnaire apprit la mort de Peter Mahon. On lui raconta que la veuve, désespérée, avait confié la petite Mary au pasteur anglican Fleming et que celui-ci était parti avec l’enfant. Robson en fut offusqué : une enfant catholique adoptée par un protestant ! L’année suivante, en 1834, il s’arrêta donc à la résidence du pasteur, pas très loin de Richmond, et lui rappela la promesse qu’il avait jadis faite au père de l’enfant. Le pasteur, qui avait déjà plusieurs enfants, accepta de lui céder la petite Mary. Devant continuer sa tournée pastorale et ne pouvant amener l’enfant avec lui, Robson demanda d’envoyer l’enfant par la diligence du vieil Isaac Cutter.


À gauche : La maison de la famille adoptive de Mary Mahon à Saint-Antoine-de-Tilly. À droite : Les parents adoptifs, Pierre et Sophie Sévigny.
À gauche : La maison de la famille adoptive de Mary Mahon à Saint-Antoine-de-Tilly. À droite : Les parents adoptifs, Pierre et Sophie Sévigny.

Une étrange disparition


Ce fut ainsi que, quelques jours plus tard, la diligence, semblable à celles du Far West, chargée de passagers et de paquets, s’arrêta devant le presbytère de Drummondville. Seule une enfant de cinq ans en sortit. Tenant une petite malle à la main, elle se rendit frapper à la porte du presbytère. Le missionnaire Robson s’étant absenté pour quelques minutes, la servante demanda à l’enfant de l’attendre dans la cuisine, puis vaqua à ses tâches dans d’autres pièces. Lorsque le prêtre rentra, elle le prévint qu’une enfant l’attendait. Heureux de cette nouvelle, le prêtre se rendit donc à la cuisine. Mais il n’y trouva personne. L’enfant avait disparu ! Ce sera en vain qu’on la cherchera partout dans le village et que des battues seront organisées dans les forêts environnantes. Le missionnaire en fut fort chagriné.


Le bonheur des Sévigny


Un mois plus tard, au moulin à farine de François Bourret, à Saint-Antoine-de-Tilly, surgirent une femme et une fillette épuisées aux vêtements en lambeaux. Apitoyé, le meunier les amena dormir à sa résidence. Le lendemain matin, son fils, qui parlait un brin d’anglais, questionna la fillette. Il comprit qu’elle était prisonnière de la femme et que toutes deux avaient marché à travers les forêts. Survint le cultivateur Pierre Sévigny. Lui et son épouse Sophie désiraient un enfant. On lui raconta le triste sort de la petite Mary. Il fit alors comprendre à la femme qu’il voulait adopter l’enfant et lui mit trente sous dans la main. La femme accepta de la lui céder et partit. On sut plus tard qu’il s’agissait d’une vagabonde du Vermont et qu’elle périt noyée.


C’est ainsi que Mary Mahon se retrouva dans une modeste maison de ferme de Saint-Antoine-de-Tilly. Peu à peu, elle apprit la langue française. Elle entra à l’école et s’y avéra une élève attentive et curieuse. Elle n’avait jamais oublié son protecteur de Drummondville, mais ne se souvenait plus de son nom. Devenue adolescente, elle consultait, un jour de 1845, une liste de curés lorsque le nom d’Hubert Robson éveilla des souvenirs. Le prêtre était devenu curé de Saint-Raymond-de-Portneuf. Elle lui écrivit. Malgré son grand âge, le prêtre traversa le fleuve et vint à Saint-Antoine-de-Tilly se présenter chez les Sévigny, retrouvant enfin sa chère orpheline et la serrant dans ses bras. Il décédera deux ans plus tard, tombant malade à la Grosse-Île en soignant les immigrants irlandais.


Rien de moins que supérieure générale !


Mary Mahon décida de se faire religieuse. Elle fit une tentative chez les Ursulines, mais, à son grand désespoir, sa santé fragile la fit refuser. Les Sœurs de la Charité se risquèrent toutefois à l’accepter en 1851 au noviciat de leur maison-mère de la rue Richelieu de Québec (en contrebas de la place D’Youville). Mary Mahon, qui avait 21 ans, y devint « sœur Saint-Louis » et elle fut heureuse dans cette communauté, dont l’une des missions était de s’occuper des orphelins, en qui elle se reconnaissait. La fondatrice de la communauté, Marcelle Mallet, lui démontra beaucoup d’affection.


Par son entrain et son empathie, la sœur Saint-Louis gagna la confiance de ses collègues, au point qu’elle n’avait que 37 ans lorsqu’elles l’élurent supérieure générale de leur communauté en 1866, et on se mit à l’appeler « mère Saint-Louis ». Elle occupera cette lourde charge durant douze ans. Sa communauté était la plus importante en nombre de membres à Québec et avait à sa charge des écoles, des couvents, des orphelinats et des hospices. La mère Saint-Louis demeura toujours d’une santé délicate. En 1887, à 58 ans, elle fut frappée de paralysie, perdant presque totalement l’usage de la parole. Dix jours plus tard, elle décéda, entourée de ses collègues qui constituaient sa seule famille depuis la mort de ses parents adoptifs.


Source : Tiré de L’institut des Sœurs de la Charité de Québec, 1871-1896.




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