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Le centenaire du Monopole, le cinquantième de la SAQ

8 février 2021 | Jean Chouzenoux, correspondant européen

Le centenaire du Monopole, le cinquantième de la SAQ
Sur la photo : à mes débuts (devant au centre), dans l’équipe de jeunes conseillers à la Maison des vins de Québec, à Place Royale. Photo : Eugen Kedl, 1976.

En 1921, le Gouvernement du Québec crée la Commission des liqueurs, premier monopole de vente d’alcool en Amérique. Cette initiative québécoise se veut émancipatrice au regard des lois prohibitionnistes en vigueur, surtout aux Etats-Unis. Déjà, le peuple québécois aux origines latines se distingue !



En 1961, place à la Régie des alcools du Québec. « La nouvelle loi prévoit que la Régie sera un organisme encadré par deux administrations distinctes. Le Ministère de la Justice s'occupera du contrôle des permis et le Ministère des Finances prendra en charge la commercialisation. »

En 1971, c’est la séparation de ces deux administrations dont la partie commercialisation deviendra la Société des alcools du Québec (SAQ).

En 2021, on souligne les 100 ans du Monopole et les 50 ans de la SAQ.




Les grandes évolutions à la SAQ



Initié au métier à la Maison des vins de Québec - pour consacrer l’expression connue -, je suis tombé dans la « potion magique » dès mon apprentissage. Mon emploi consacré au monde du vin devint dès lors l’objet de ma passion. J’ai œuvré un peu plus de 35 ans à la SAQ, de 1975 à 2010, parfois acteur, parfois témoin de plusieurs transformations. Sous mon prisme, voici quelques constats… bien loin d’être exhaustifs !

Les années 1970 deviennent le théâtre du premier grand bouleversement que connaîtra la SAQ, avec l’avènement des succursales de type libre-service. Cette transformation du réseau de ventes changera inexorablement les habitudes des consommateurs, les ventes de spiritueux largement majoritaires cèderont tranquillement le pas aux ventes de vins.

Seconde distinction, car cette prédominance pour le goût du vin demeure encore l’apanage des québécois. Le président d’alors, M. Jacques Desmeules, s’emploiera à développer le réseau et l’offre des produits. Naissent ainsi les Maison des vins de Québec, Montréal, Hull et Trois-Rivières. Les vins de spécialités, surtout les grands crus français, prennent de plus en plus d’espace au répertoire de la SAQ, à des prix que l’on dirait risibles aujourd’hui.

Autre phénomène de mode, cette fois, la vente des premières caisses de Beaujolais nouveaux dès 1975. Des 300 caisses au début, la frénésie qui gagnera le Québec connaîtra un sommet dans les années 1990 avec près de 40000 caisses mises en vente. Par ailleurs, un élément significatif influera sur la carrière de biens des jeunes à la SAQ et, par ricochet, sur le consommateur : la formation sur les produits offerte aux employés. Conséquemment, mieux connaître un objet de passion comme le vin créera un phénomène de rétention du personnel et une forte fierté d’appartenance. Notons également que les conditions de travail des employés progresseront nettement au cours de cette période.

Après la tentative ratée de privatisation du Monopole en 1985 arrive à la barre de l’entreprise le Dr Jocelyn Tremblay. Celui-ci devient le premier président issu de ses propres rangs, étant auparavant directeur du Laboratoire et du contrôle de la qualité. Il assumera le rôle de président directeur-général pendant 12 ans ; de quoi laisser une trace indélébile. Son message aux troupes, alors que le moral est au plus bas : « Si on veut que nos clients n’appellent pas à la privatisation, soyons les meilleurs ! » Sous son règne, la SAQ entreprendra un virage commercial majeur. Terme qui peut paraître galvaudé aujourd’hui, mais qui prend concrètement la forme suivante : accroissement marqué du nombre de succursales, création du réseau des Agences pour offrir le service dans de plus petites localités, ouverture de succursales le dimanche, début des premières promotions avec rabais, service d’importations privées, mise en place de comptoirs de vin en vrac (le client embouteille son vin), offre de cours à la clientèle Les connaisseurs, pour la clientèle de niche, la création d’un service de commandes postales via le Courrier vinicole et le principal fait d’armes de cette administration, le déploiement du réseau en trois bannières adaptées aux besoins du marché : Classique, Express et Sélection.

Enfin, soucieuse des impacts négatifs sur la santé d’une mauvaise consommation d’alcool, surtout chez les jeunes, la SAQ initie une réflexion avec ses partenaires de l’industrie qui mènera à la fondation d’Educ’alccol. « L'organisme se développe de manière considérable et devient une véritable référence dans son domaine, à la fois au Québec et dans le monde. La même année, elle participe à la fondation de Collecte sélective Québec », tel que le rapporte le site Wikipédia consacré à la SAQ.

Quand je repense à cette époque, je ne peux m’empêcher de sourire tant il a fallu se battre et convaincre la population - et les médias au premier chef – de l’utilité de ces nouveaux services qui apparaissent acquis aujourd’hui. Pouvez-vous croire que la SAQ faisait les manchettes - pour ne pas dire se faisait ramasser - parce qu’elle ouvrait des succursales le dimanche, qu’elle distribuait des circulaires, offrait des rabais, on encore, instaurait le droit de payer avec la carte de crédit ? J’en parle en connaissance de cause, j’étais porte-parole de l’entreprise à l’époque et j’ai dû me frotter à bien des journalistes. Certains trouvaient le monopole sclérosé, alors que d’autres contraient toutes formes d’évolution et d’adaptation aux besoins de la clientèle.

En revanche, certains se rappelleront des grèves qui ont émaillées l’histoire de l’entreprise. Celles des employés de succursales en 1979 et en 2004 qui dureront chacune plusieurs semaines, et celle des employés d’entrepôts en 1991.

Au tournant des années 2000, c’est le flamboyant Gaétan Frigon qui prend les rênes de la SAQ. Il y laissera une empreinte bien sentie lors de son court passage de 1998 à 2002. L’expert du marketing augmentera fortement la cadence des actions initiées par l’administration précédente. Toutes les succursales pourront désormais ouvrir le dimanche, les promotions deviendront plus fréquentes avec des rabais plus substantiels. Qui ne se rappelle pas du Boxing day de la SAQ et des gigantesques ventes d’entrepôt qui avaient cours le premier week-end de septembre ?

Ont aussi réapparu des enseignes pour les vins de prestige avec la Bannière SAQ Signature et la bannière Art de vivre pour une expérience client poussée à son apogée. Par conséquent, sous l’impulsion et les actions éclatantes de Gaétan Frigon, la SAQ fut propulsée dans le TOP-5 des entreprises préférées des Québécois.

Je m’adresse maintenant aux gens de la profession pour rappeler que Gaétan Frigon a aussi amené avec lui des techniques de commercialisation inspirées de l’entreprise privée. Deux chantiers principaux ont été ouverts : celui de l’amélioration de la chaîne d’approvisionnement afin de raccourcir les délais entre la commande des produits et leur commercialisation, et la gestion par catégories pour ce qui est de la gamme des produits à offrir et leur présentation sur les rayons des succursales ; ce qui, bien sûr, ne s’est pas réalisé sans grincements de dents.


Les années 2000



L’une des forces du monopole est d’avoir toujours misé sur la formation et le développement de ses ressources humaines. Pas étonnant que la grande majorité des employés y ait fait carrière, en évoluant dans différentes sphères d’activités afin d’acquérir une expertise diversifiée et de gravir l’échelle hiérarchique.

De solides « banques de relève » à tous les niveaux ont permis de repérer les talents et de les développer à l’aide de programmes de formation rigoureux, incluant du mentorat et des stages en entreprise. De jeunes gestionnaires se sont alors outillés pour postuler aux divers postes de haute direction, mis en concurrence avec les candidats externes sollicités par des chercheurs de têtes.

C’est ainsi que les trois dernières personnes à avoir dirigé l’entreprise sont issues des rangs de l’entreprise : Philippe Duval, Alain Brunet et Catherine Dagenais. Le cas le plus éloquent est celui d’Alain Brunet, qui a débuté comme caissier-vendeur dans les succursales en 1981, a gravi tous les échelons, acquis des compétences et de l’expertise aux ventes et à la commercialisation, pour accéder à la présidence en 2014.

Ces trois PDG, bien au fait des enjeux et en maîtrise de leur environnement, prennent rapidement en charge leurs responsabilités et suscitent automatiquement l’adhésion des employés. Sous leur gouverne, on observe que le développement dynamique de la SAQ se maintien avec, à la clé, une amélioration continue de la performance. En outre, les liens se resserrent avec les partenaires de l’industrie et les producteurs québécois.

Enfin, le client demeure au cœur des préoccupations avec une gamme de produits où les vins bio et natures prennent leur place, des ventes en ligne facilitées connaissent un réel engouement, un programme de fidélisation populaire lié à la carte Inspire et une expérience de magasinage qui n’a cessé de se raffiner.

Aujourd’hui, la SAQ, ce sont plus de 15 000 produits commercialisés, une offre inégalée dans le monde, un réseau de 410 succursales et 400 agences, des ventes de 3,5 milliards de dollars, des dividendes aux deux gouvernements, par ricochet aux Québécois de 2,4 milliards de dollars. Mais c’est avant tout un accomplissement réalisé grâce à la contribution de ses forces vives, ce socle constitué de 7000 employés sur lesquels reposent 100 ans d’histoire et de réalisations !

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