Au cœur du Vieux-Québec, la rue du Parloir est l’une des plus petites artères du quartier. Et pourtant, elle possède une longue histoire et éveille bien des souvenirs. Il est vrai que les façades des maisons et du couvent datent du Régime anglais. Toutefois, l’âme de la Nouvelle-France y subsiste toujours.
Se rendre auprès de Marie de l’Incarnation
Du vivant de sainte Marie de l’Incarnation, on parlait déjà de la « rue du Parloir » ou de la « rue des Parloirs ». C’est ce que nous révèle le texte du peu connu Voyage de Canadas en nouvelle france rédigé en 1662 par Anseline de Ronval, originaire de Dieppe, qui séjourna à Québec. Vingt ans auparavant, en 1642, la révérende Marie de l’Incarnation, la courageuse et déterminée fondatrice des Ursulines de Québec, avait fait construire son monastère à la haute-ville pour l’éducation des jeunes filles de la colonie. Elle fit reconstruire l’édifice après le terrible incendie de 1650. Regrettée de tous les habitants, elle décéda en 1672, 10 ans après le récit d’Anseline de Ronval. La renommée épistolaire et spirituelle de Marie de l’Incarnation se répandit si rapidement après sa mort que l’un de ses contemporains, le grand prédicateur Bossuet, la surnomma « la Thérèse du Nouveau Monde », la comparant ainsi à Thérèse d’Avila.
Et la rue du Parloir s’imposa
Les recherches de l’érudit toponymiste Jean Poirier nous apprennent que la rue du Parloir fut aussi appelée au XVlle siècle « rue des Ursulines » ou « rue Sainte-Ursule ». Dans son recensement paroissial de 1818, le curé Joseph Signay la désignait « rue des Parloirs ». Sur son plan de 1833, l’arpenteur Adolphe Larue inscrivait « rue du Parloir ». Ce dernier nom s’imposa de plus en plus et nous est parvenu.
Le nom de la rue du Parloir disait bien ce qu’il avait à annoncer. Partant de l’importante rue Saint-Louis, la petite rue menait à l’aile des Parloirs. Des élèves pensionnaires y recevaient la visite de leurs parents. Derrière une grille, les Ursulines, cloîtrées jusqu’à l’époque du concile Vatican ll, recevaient des nouvelles de leurs familles et du monde. J’ai souvenir d'avoir vu accroché au mur un grand portrait du colonel de Salaberry. Devant mon étonnement, sœur Thérèse Prince m’avait dit : « C’est le souvenir qu’une membre de sa famille, devenue Ursuline, avait apporté avec elle ». Et le vainqueur de la bataille de Châteauguay faisait ainsi la garde de l’humble parloir.
Une rue de la bonne société
L’écrivaine Anne Hébert amorçait son roman Kamouraska ainsi : « L’été passa en entier. Mme Rolland, contre son habitude, ne quitta pas sa maison de la rue du Parloir. Il fut très beau et très chaud. Mais ni Mme Rolland ni les enfants n’allèrent à la campagne, cet été-là. » Ces mots de la célèbre romancière éveillent plusieurs images, rappelant qu’après la Conquête, la rue du Parloir fut habitée jusqu’au milieu du XXe siècle par des familles de la noblesse, de la bourgeoisie et de la magistrature. Les juges n’y étaient qu’à une centaine de pas de leur palais de justice de la place d’Armes. Le passage des jours était marqué par les cris des élèves des Ursulines dans leur cour de récréation et par les tintements de la cloche annonçant les offices de la chapelle des Ursulines. Les habitants de la rue du Parloir s’y rendaient d’ailleurs pour leur messe dominicale, comme le faisaient aussi le maire Narcisse-Fortunat Belleau et le premier ministre Pierre-Joseph-Olivier Chauveau. Ces deux derniers furent inhumés dans la crypte de la chapelle. Depuis la fin du XlXe siècle, les maisons de la rue n’ont guère changé. Le juge Ferdinand Roy, père du cardinal Maurice Roy, et l’historien Thomas Chapais reconnaîtraient leur maison.
Une importante page vient d’être tournée dans le grand livre d’histoire du Vieux-Québec. Les Ursulines ont officiellement quitté en 2018 leur vieux monastère pour vivre leur retraite dans des lieux mieux adaptés pour leurs effectifs. Les nombreuses ailes du vieux monastère trouvent peu à peu de nouveaux occupants et de nouvelles fonctions. Les passants de la rue du Parloir ne se rendront compte de rien. Les élèves continueront à traverser le porche de l’aile Sainte-Angèle pour se rendre à l’École des Ursulines.
Les rues d’une vieille ville sont habitées par les gens d’aujourd’hui, mais aussi par ceux qui y vécurent autrefois, pourvu que l’on y porte attention. C’est ainsi que la rue du Parloir mènera toujours chez les Ursulines…