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L’auto ancienne électrique sort du placard

28 octobre 2021 | Luc Gagné

L’auto ancienne électrique sort du placard
Sur la photo : Detroit Electric Modèle 46 1914

Les véhicules électriques ne datent pas d’hier. Je l’ai appris en 1968, bien avant que des Nissan Leaf et des Tesla Modèle S sillonnent nos routes. Pendant que les grands allaient voir Valérie au cinéma et que les jeunes adultes s’émoustillaient à L’Osstidcho au Quat’Sous, le jeune garçon de 10 ans que j’étais s’émerveillait devant Les Belles d’autrefois, une exposition réunissant une cinquantaine de voitures anciennes au pavillon de la Grande-Bretagne, à Terre des Hommes.




À mes yeux, deux véhicules de ce musée improvisé ressortaient du lot : une Pope-Waverley 1905 et une Baker 1906. Contrairement aux autres ancêtres pétaradants présentés, ils avaient un moteur électrique alimenté par des batteries. Ils se déplaçaient même presque sans bruit ! Mais une question m’a longtemps titillé : pourquoi ces VÉ à l’allure étrange ont-ils disparu aussi soudainement que les dinosaures ?

En 1910 aux États-Unis, 38 % des quelque 8 000 véhicules recensés étaient électriques. Quant aux autres, 40 % avaient un moteur à vapeur et 22 % seulement étaient mus par un moteur à essence.

Après tout, en 1910 aux États-Unis, 38 % des quelque 8 000 véhicules recensés étaient électriques. Quant aux autres, 40 % avaient un moteur à vapeur et 22 % seulement étaient mus par un moteur à essence. Mais, comme une météorite qui aurait frappé la terre, des innovations technologiques allaient changer la donne. Si bien qu’en 1912, les VÉ ne représentaient plus que 4 % des 500 000 véhicules immatriculés au sud de la frontière.

L’adoption par Ford de la production sur chaîne d’assemblage, en 1910, fut une cause de ce changement. Ce processus industriel a permis de réduire le prix de base (en dollars américains) du Modèle T biplace de 900 $ qu’il était cette année-là à 260 $ en 1925. Plusieurs grands constructeurs ont emboîté le pas à Ford, mais pas les spécialistes de VÉ. Destinés à l’élite, leurs produits sont donc restés coûteux. Les Baker fabriquées à Cleveland l’illustrent bien. En 1910, leurs prix s’étalaient de 850 $ à 3 500 $, avec un prix moyen de 2 140 $. En 1916, dernière année de production de la marque, les deux seuls modèles inscrits au catalogue coûtaient respectivement 2 475 $ et 3 000 $ !

L’invention d’un démarreur électrique pour les moteurs à essence a aussi contribué au déclin des VÉ. Adopté par Cadillac en 1912, l’usage de ce dispositif s’est généralisé dans l’industrie à juste titre. Il éliminait les risques de blessures au poignet et au bras associées à l’usage de l’incontournable manivelle, jusqu’alors essentielle pour faire démarrer le moteur d’un véhicule. Du coup, la sécurité et la simplicité d’utilisation associées aux VÉ, qualités prisées par la gent féminine, devenaient choses communes.

À cela s’ajoutent le développement de l’industrie pétrolière du Texas et la création d’un réseau routier continental. Avec de la gazoline peu coûteuse, le conducteur d’un Modèle T pouvait parcourir 250 km, puis, après avoir déniché un magasin général ou un « dépôt », même en campagne, cinq minutes suffisaient pour faire le plein et poursuivre son périple. Une Baker électrique n’offrait pas autant de latitude. Avec un rayon d’action limité à 80 km et une recharge nécessitant de 10 à 12 heures, sa vocation citadine était incontournable, d’autant plus que les campagnes étaient peu électrifiées.

Mais les temps changent et de nouvelles technologies ont fait des VÉ les nouvelles coqueluches de l’industrie automobile, et ce, en quelques décennies à peine. Cette popularité renouvelée a redonné du lustre à ces ancêtres électriques qui m’ont fait rêver dans ma jeunesse. Cet engouement s’exprime par les prix dans les cinq et six chiffres qu’obtiennent les Baker, Rauch & Lang, Milburn, Columbia, Detroit Electric et autres du genre qu’on a vu s’envoler durant les dernières années dans les grandes ventes aux enchères organisées en Amérique, notamment celles de la prestigieuse société RM Sotheby’s de Blenheim, en Ontario. Voilà une belle façon pour ces VÉ anciens de sortir du placard !



Baker Modèle W 1912




© RM Sotheby’s



/ Offerte à l’origine pour 2 000 $US
/ Vendue 192 500 $US à l’encan RM Sotheby’s de Hershey, Pennsylvanie, en 2018.


© RM Sotheby’s



© RM Sotheby’s




Surnommée « Runabout », cette décapotable biplace était le modèle d’entrée de gamme de Baker cette année-là. On remarquera que le constructeur de Cleveland avait compris, en ce début des années 1910, que l’esthétique des véhicules à moteur à essence plaisait davantage aux acheteurs, d’où un simulacre de radiateur servant à orner la partie avant de cette Baker, et la forme plus traditionnelle de sa carrosserie.


© Photos : RM Sotheby’s



© RM Sotheby’s



Pope-Waverley Modèle 21 Runabout 1906




© RM Auctions



/ Offerte à l’origine pour 850 $US
/ Vendue 60 500 $US à l’encan RM Auctions de Hershey, Pennsylvanie, en 2012.


© RM Auctions



Pope-Waverley est une marque des véhicules électriques fabriqués de 1904 à 1908 par un magnat de l’automobile de la première heure : l’Américain Albert Pope. Cet homme d’affaires, qui avait fait fortune dans la fabrication de vélos, est connu aussi pour trois autres marques de véhicules — à essence ceux-là — qu’il a produits : Pope-Hartford, Pope-Toledo et Pope-Tribune.


© RM Auctions



© RM Auctions




Detroit Electric Modèle 46 1914




© RM Auctions/Theo Civitello



/ Offerte à l’origine pour 2 400 $US
/ Vendue 99 000 $US à l’encan RM Auctions de St. John’s, Michigan, en 2012.


© RM Auctions/Theo Civitello



© RM Auctions/Theo Civitello


Acheté par un Californien de Pasadena le 20 novembre 1914, ce roadster était bleu à l’origine. Après avoir été racheté par le musée de l’Imperial Palace de Las Vegas, dans les années 1980, il a subi une restauration qui lui a donné cette nouvelle robe élégante. Tout porte à croire, par ailleurs, qu’il n’existe aujourd’hui qu’un seul autre exemplaire de ce modèle : une voiture ayant appartenu au philanthrope Abby Aldrich Rockefeller.


© RM Auctions/Theo Civitello




Columbia Mark XXXV Landaulet 1899




© RM Auctions



/ Offerte à l’origine pour 3 500 $US (approx.)
/ Vendue 550 000 $US à l’encan RM Auctions de Monterey, Californie, en 2011.


© RM Auctions



© RM Auctions



D’après RM Sotheby’s, il existe peu de traces écrites de l’histoire de cet ancêtre motorisé qui aura bientôt 125 ans. Tout porte à croire qu’il s’agit du seul Mark XXXV landaulet à capote à triples positions fabriqué par la Pope Manufacturing Company de Hartford, au Connecticut. Livré au Stevens Institute of Technology de Hoboken, au New Jersey, il aurait éventuellement servi à transporter les dirigeants et invités de cette institution dans la ville de New York.


© RM Auctions




Milburn Modèle 27 Brougham 1918



© RM Auctions/Darin Schnabel



/ Offerte à l’origine pour 1 885 $US
/ Vendue 46 750 $US à l’encan RM Auctions d’Amelia Island, Floride, en 2008, puis 41 800 $US à l’encan RM Auctions de Hershey, Pennsylvanie, en 2010.


© Photos : RM Auctions/Darin Schnabel



Ce modèle était la berline d’entrée de gamme de Milburn. Son intérieur de type vis-à-vis (avec deux banquettes se faisant face) pouvait accueillir quatre personnes. Plutôt que d’avoir un volant à boudin circulaire, le conducteur qui s’asseyait sur la banquette « arrière » dirigeait sa voiture à l’aide d’une tige métallique qu’on surnommait « queue de vache ».


© RM Auctions/Darin Schnabel



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