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Le tracel de Cap-Rouge fête ses 100 ans

28 février 2013| Jean-Marie Lebel, historien

Le tracel de Cap-Rouge fête ses 100 ans

C’est en 1913 que des trains commencèrent à circuler sur le long tracel surplombant la vallée de la rivière du Cap-Rouge. Des activités de la Société historique du Cap-Rouge souligneront d’ailleurs ce centenaire à compter du mois d’avril .Devenu un élément familier du pa ysage carougeois, ce tracel constitue toujours l’un des plus impressionnants viaducs ferroviaires en Amérique.

UN LEGS DE SIR WILFRID LAURIER

Le premier ministre Wilfrid Laurier, qui

dirigea les destinées du Canada durant

15 ans, voyait grand. Un jour d’octobre

1900, il vint fièrement inaugurer les

travaux de construction du pont de

Québec, une vieille promesse électorale.

Ce pont allait être un maillon essentiel

du grand projet ferroviaire de Laurier

qui avait décidé de doter le Canada, que

traversait déjà le Canadien Pacifique,

d’un second chemin de fer transcanadien.

La compagnie Grand Trunk Pacific avait

accepté de construire la voie ferrée de

Vancouver à Winnipeg. Le gouvernement

fédéral de Laurier s’engagea à construire

la voie de Winnipeg à Moncton,

dans les Maritimes, en passant par

l’Abitibi, la Mauricie et le pont de

Québec. La Commission du National

Transcontinental fut constituée à cet

effet. Et c’est cette commission qui

construira le tracel de Cap-Rouge pour

amener les trains au pont de Québec.

C’est un ami de Laurier, Simon-Napoléon

Parent, ancien maire de Québec, qui

devint président de la commission en

1906.

La plus populaire des cartes postales anciennes consacrées au tracel, datant de 1915.
La plus populaire des cartes postales anciennes consacrées au tracel, datant de 1915.

UN COLOSSAL DÉFI

La construction des fondations du tracel

débuta en 1906. Pour ce faire, le National

Transcontinental avait acheté une large

lisière de terrain traversant 16 propriétés,

dont le fameux domaine Redcliff qui

dominait le cap Rouge (de nos jours

le parc Cartier-Roberval). Le village de

Cap-Rouge, aux petites maisons de bois

couvertes de toitures à deux versants

percés de lucarnes, s’était quelque peu

endormi depuis le déclin de l’exportation

du bois vers l’Angleterre à la fin du XIXe

siècle. Pendant quelques années, la

construction du tracel amènera bien des

ouvriers dans le village. L’acier nécessaire

arrivera par navires.

Le contrat de construction du tracel

avait été accordé à la réputée compagnie

Dominion Bridge de Montréal, à laquelle

on commandait un viaduc en acier d’un

kilomètre de long, d’une hauteur pouvant

atteindre 50 mètres, dont le tablier serait

supporté par 30 grands chevalets, ce qui

demandera pas moins de 4 388 tonnes

d’acier. Les gens de Cap-Rouge, entendant

les ouvriers et foremen parler constamment

du trestle bridge (pont sur chevalets),

déformèrent peu à peu le mot trestle en

tracel.

Au total, les 30 chevalets demandaient

120 piliers dans des fondations de béton.

Il fallut creuser beaucoup plus profond

que prévu pour atteindre le roc au-delà

de la boue et de la glaise. Cela modifia

les plans. Pour assurer la solidité de

la structure, on décida d’adopter la

technique des caissons pneumatiques,

une solution fort dispendieuse.

La construction du tracel coûta

finalement plus de 800 000 $ de fonds

publics, beaucoup trop comme le

démontrera une commission royale

d’enquête. Une chose est sûre : jamais une

compagnie ferroviaire privée ne se serait

lancée dans une telle aventure, préférant

tout simplement changer le parcours de

sa voie ferrée. La décision de construire le

tracel avait été prise à Ottawa. Comment

les ingénieurs justifièrent-ils leurs

coûteuses décisions ? Ils expliquèrent

qu’ils ne lésinèrent pas sur les dépenses,

car, coûte que coûte, ils voulaient

respecter les normes précises qu’ils

s’étaient fixées pour tout le parcours du

National Transcontinental relativement

aux pentes maximales et aux courbures

de virages pour la rapidité et la sécurité

des convois. La meilleure façon

d’atteindre le plateau de Sainte-Foy, et

sans avoir à le monter, leur parut d’arriver

par le plateau de la ferme de Gustave

Langelier (de nos jours la Promenade-des-

Soeurs) et de construire un tracel.

À la fin de la Première Guerre mondiale,

le National Transcontinental devint l’une

des composantes des Chemins de fer

nationaux du Canada (Canadien National)

et c’est ainsi que la propriété du tracel

passa au Canadien National qui en est

propriétaire depuis lors.

Source : Henri Gingras, Cap-Rouge 1541-1991 – 450 ans d’histoire, 1991.
Source : Henri Gingras, Cap-Rouge 1541-1991 – 450 ans d’histoire, 1991.

UN TRACEL DEVENU SYMPATHIQUE

La construction et la présence du tracel

furent d’abord mal acceptées par les villageois de Cap-Rouge. À leurs yeux,

cette construction moderne déparait leur

pittoresque village. Des ménagères se

plaignirent de la suie et des taches d’huile

qu’elles trouvaient sur les vêtements

étendus sur les cordes à linge. Le chef de

gare de Cap-Rouge, Irénée Lessard, était

persuadé que le tracel s’effondrerait

du jour au lendemain. Bien des parents

s’inquiétaient pour leurs enfants. Selon

des témoignages, plusieurs enfants

réussirent à marcher sur le tracel d’un

bout à l’autre, bien sûr sans permission

parentale. Une nuit, un train de bestiaux

pour l’Abitibi s’immobilisa sur le tracel.

Se croyant sur la terre ferme, un employé

débarqua d’un wagon et tomba dans le

vide.

Avec le temps, les gens de Cap-Rouge

devinrent de plus en plus fiers de leur

tracel. « Paris a sa tour Eiffel, Cap-Rouge a

son tracel », se plaisent à répéter certains

Carougeois. En cette année du centenaire,

beaucoup de gens s’interrogent toutefois

sur la destinée du tracel. Les trains de

passagers ne l’utilisent plus. Et ce ne

sont que de rares trains de marchandises

du Canadien National qui l’empruntent

encore, à vitesse fort réduite, pour se

rendre aux voies de triage de Sainte-

Foy. La structure du tracel demanderait

d’importants travaux d’entretien et de

restauration.

Toutefois, ne boudons point notre

plaisir de pouvoir encore admirer cette

importante oeuvre d’ingénierie. Et puis,

le moindre passage d’un train sur la

haute structure, où il prend les allures

d’un petit train électrique d’enfant, ne

suscite-t-il pas encore la curiosité et

l’émerveillement ?

Le 18 avril prochain, à 19 h 30, Jean-Marie Lebel donnera une conférence* sur l’histoire du tracel de Cap-Rouge à l’église de Cap-Rouge (1460, rue Provancher).

*Organisée par la Société historique du Cap-Rouge

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