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Le marché de l’ART VISUEL à Québec

4 juillet 2013| Donald Charette

Le marché de l’ART VISUEL à Québec

Si l’économie de Québec se porte bien, elle n’a pas pour effet de propulser le marché des arts visuels. Valeur refuge, l’art prend plutôt de la vitalité quand l’économie traverse une période creuse.

Vincent Beauchamp est bien placé pour

analyser l’évolution du marché de l’art;

sa famille possède neuf galeries : sept

à Québec, une à Baie-Saint-Paul et une

autre à Toronto. « Depuis deux ans, ça

stagne, mais il n’y a pas de baisse »,

constate-t-il en entrevue avec PRESTIGE.

Par contre, le marché a été exceptionnel

en 2008 et 2009, alors que la crise frappait

avec force. « Le marché a connu une

poussée très forte à cette époque, car

les gens étaient nerveux et cherchaient

du rendement à long terme. Des études

démontrent un rendement de 5 à 10 %

annuellement… si vous êtes patient »,

concède M. Beauchamp.

Les sept galeries de la famille Beauchamp

à Québec sont concentrées dans un petit

quadrilatère situé dans le Vieux-Québec

et l’intention est d’y créer un véritable

quartier des arts. C’est la synergie entre

les petits hôtels, les restaurants et les

cafés-terrasses qui crée de l’animation et

produit des résultats. À un jet de pierre

des quais, ces galeries sont bien placées

pour profiter de la clientèle touristique.

Vincent Beauchamp relativise toutefois

l’apport économique des croisiéristes.

Le marché est différent de celui de

Montréal ou de Toronto, où les galeries

sont très disséminées. À Québec, les

acheteurs locaux représentent 50 % de

la clientèle, 20 % viennent du reste du

Canada et on mise sur 30 % d’acheteurs

étrangers. La Beauchamp Art Gallery de

Toronto tire bien son épingle du jeu et

a conclu une entente avec le Centre des

congrès de Toronto afin d’exposer des

artistes québécois. « C’est une vitrine

extraordinaire pour nos artistes, et

leurs oeuvres ornent les murs du Metro

Toronto Conference Center qui, soit dit en

passant, est ravi de cette collaboration »,

mentionne Vincent Beauchamp.

MAIS QU’EST-CE QU’ON ACHÈTE ?

Exit, semble-t-il, la traditionnelle petite

maison de Charlevoix, et place au réalisme

contemporain. « Ceux qui achetaient des

paysages en achètent moins, et les jeunes

ne veulent pas la même chose qu’ils ont

vue dans la maison de leurs parents,

révèle-t-il. Il y a de l’abstrait, bien sûr, mais

avec une base réaliste. Nous avons fait un

virage à 180 degrés dans nos galeries en

ce qui concerne le figuratif. Je dirais qu’un

tableau sur cinq est un paysage. »

Nombre de ces nouveaux talents

habitent la région de Québec, et Vincent

Beauchamp estime qu’une trentaine de

peintres peuvent vivre de leur talent et

de leur passion. Parmi ces valeurs sûres, il

cite Mélanie Simard, Sébastien Larochelle,

Martin Beaupré… et il ajoute Kal Gajoum,

un peintre de réputation internationale

résidant à Vancouver et exposant dans

ses galeries, dont les toiles trouvent

rapidement preneur.

LE FINANCEMENT ET LA SPÉCULATION

Les galeries Beauchamp ont été des pionnières dans le

financement des oeuvres d’art; une approche « commerciale »

qui leur a valu bien des critiques, y compris de la part des

artistes eux-mêmes, alors que c’est un modèle d’affaires

largement répandu maintenant. « Nous avons été étiquetés

de façon épouvantable », rappelle-t-il, précisant que 50 % de

leurs ventes sont, dans les faits, financées sur plusieurs mois.

Il met en garde ceux qui seraient tentés de spéculer sur

l’achat de toiles et qui en achètent dans l’unique but de les

revendre. « On achète un tableau parce qu’on l’aime. Tant

mieux s’il prend de la valeur. » Il donne l’exemple d’un client

fortuné de Montréal qui voulait un Riopelle à tout prix pour

l’afficher dans son commerce. « Nous en avons trouvé un,

mais ce n’était pas l’un des plus beaux de Riopelle. Nous

l’avons convaincu d’attendre et nous en avons trouvé un

autre qu’il peut admirer tous les jours. »

SURTOUT PAS UN PLACEMENT !

Depuis 25 ans, la galerie Lacerte a pignon sur rue au pied de

la côte Dinan, un peu à l’écart de l’affluence touristique. Son

directeur, Louis Lacerte, explique qu’on mise bien peu sur les

touristes de passage. Lacerte possède une galerie à Montréal

et la clientèle locale représente environ 40 % de son chiffre

d’affaires. Il explique, lui aussi, qu’il existe une différence

entre la demande de Québec et celle de Montréal, où l’on

trouve beaucoup plus de collectionneurs privés.

Louis Lacerte décrit le marché de Québec comme « assez

bon pour les tableaux valant moins de 15 000 dollars ». Il

se hérisse lorsqu’on décrit l’achat d’une toile comme un

placement. « Il ne faut pas penser que toute oeuvre d’art est

un placement. Prétendre que ça donne du rendement, c’est

farfelu. Moi, je ne vends pas des placements, autrement je

serais conseiller en valeurs mobilières. Il faut acheter un

bon tableau, dans une bonne période, à un prix raisonnable,

et après, c’est la loi de l’offre et la demande. »

Cela dit, il y a de belles histoires avec de gros profits à

la clé. La galerie Lacerte a vendu, il y a quelques années,

un tableau de Jean Paul Lemieux, 1910 Remembered,

pour 350 000 dollars à un collectionneur de Montréal. Ce

dernier a revendu ce tableau pour 2,3 millions de dollars,

établissant un record pour une peintre canadien !

M. Lacerte déplore qu’il y ait beaucoup de galeries très

commerciales qui vendent de la décoration. « La décoration,

ce n’est pas une démarche artistique. L’art commercial,

c’est faire 500 fois le même tableau. C’est racoleur, joli, mais

c’est de l’artisanat », tranche-t-il.

Louis Lacerte a remarqué une évolution dans les goûts

de la clientèle, un changement générationnel. Les jeunes

seraient mieux informés, plus « accros », et connaissent

bien les artistes. Sur le marché mondial, l’achat d’un

tableau, en plus de la valeur refuge, sert à afficher un

« statut social », note-t-il. Les riches étant outrageusement

riches, des toiles ont atteint des montants astronomiques

dans les encans de Christie’s, bien loin du potentiel du

marché de Québec.

L’INDISPENSABLE RÉSEAUTAGE

« Il est possible de vivre de son art à Québec, bien que le marché

soit différent de celui de Montréal ou de Toronto, où il y a plus

de mécénat. Il existe notamment un réseau de gens d’affaires,

mais il faut aller au-devant de ce réseau, le provoquer », affirme le

peintre Jean Gaudreau.

Comme bien des artistes en arts visuels, Jean Gaudreau a connu

des années de petite misère avant de percer. C’est le fruit de

25 ans de travail qu’il peut récolter aujourd’hui et il voit le marché

de Québec de façon très positive, lui qui, pourtant, n’expose qu’à

une galerie… à Saint-Sauveur.

« Il faut être proactif, car c’est un marché qui se travaille. À Québec,

il y a des collectionneurs, mais aussi beaucoup de soirées-bénéfice

qui permettent de se faire connaître », fait remarquer le peintre.

Tout récemment, Pierre Karl Péladeau a eu un coup de foudre pour

une de ses toiles lors d’une soirée caritative. « Ça m’a pris 15 ans

avant de réussir à vivre de mon art. J’avais souvent de la misère à

faire mon épicerie. À Montréal, où je suis demeuré trois ans, il y

a plus d’artistes, plus de galeries et plus de “cochonneries” aussi.

Ce séjour m’a fait mûrir et je suis revenu dans une des plus belles

villes au monde pour sa qualité de vie. »

Si Jean Gaudreau est reconnu aujourd’hui, c’est aussi qu’il a

bénéficié de deux coups de pouce importants : de la part de Guy

Laliberté, du Cirque du Soleil, et de Robert Lepage, qui a intégré de

ses oeuvres dans son Moulin à images. « Par choix », note l’artiste,

ses toiles ne se trouvent dans aucune galerie à Québec. « Québec,

c’est une toute petite ville, et les galeries sont très possessives, au

point où tu ne peux parler à personne », déplore-t-il.

Jean Gaudreau est enthousiasmé par la volonté de la Ville de Québec

de combiner le privé et le public dans les nouvelles constructions, et

de miser sur l’art comme l’a fait la Ville de Chicago.

UN CLUB DES COLLECTIONNEURS

EN ARTS VISUELS À QUÉBEC

L’avocat Marc Bellemare est un avide amateur d’art et a fondé le

Club des collectionneurs en arts visuels de Québec en 2004, club

qui regroupe plus de 175 membres. Son conseil avant d’acheter

une toile ? « Se débarrasser de l’approbation des autres, ce que

j’appelle “l’oeil du beau-frère”. Être capable de se défendre par

rapport à ce que l’on aime. »


Cela dit, il est important, selon lui, lorsqu’on achète une oeuvre,

d’avoir la certitude de pouvoir la négocier au juste prix. Un

collectionneur pourra ainsi faire « rouler » ses toiles. « Tous

les artistes font de bons et de mauvais tableaux. Il ne faut

pas acheter pour faire de l’argent et, surtout, trouver un prix

raisonnable. Un bon artiste, une bonne période, au bon prix »,

résume-t-il.

Le Club des collectionneurs organise des activités pour faire

connaître des artistes et a réuni 300 personnes, par exemple,

pour parler de Claude Tousignant, associé au groupe des

Plasticiens, qui s’est fait connaître dans les années 1960.

Marc Bellemare constate que le marché est plus lent à Québec

qu’à Montréal, où il existe depuis longtemps de grands

collectionneurs d’arts visuels. Au passage, il déplore que de

grands peintres comme Fernand Leduc, Marc-Aurèle Fortin et

Guido Molinari soient moins connus que bien des vedettes du

petit écran. « Ils n’ont pas leur face dans la section des arts tous

les jours », fait-il remarquer avec une pointe d’ironie.

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