Télédiffusée en direct dans 166 pays, devant 700 millions de groupies collés à leur plasma, la cérémonie de remise des Grammy Awards est le plus gros spectacle télévisuel du monde après les Jeux olympiques et le Mondial. Cinq cents fois les meilleures cotes d’écoute de Tout le monde en parle, mon Guy ! L’homme derrière ce succès planétaire est né à Salaberry-de-Valleyfield.
Photo : Jeffrey Mayer, wireImage.com
Bien avant les succès de René Angélil et Pierre David dans la grosse industrie du spectacle américain, il y a eu Pierre Cossette, Campivallensien de la troisième génération, Québécois de la dixième. Self-made-man, Cossette a été gérant, producteur et imprésario; il a connu tout le showbizz, de Times Square à Hollywood Boulevard.
Encore adolescent, il réussit à engager Red Skelton, Bing Crosby et George Burns pour payer ses études. Jeune producteur, il devient l’imprésario de Dick Shawn et Buddy Hackett, deux grands comiques des années 1950 et 1960. Il produit The Will Rogers Follies à Broadway et de nombreuses émissions de télé, dont The Glen Campbell Show et The Andy Williams Show.
Pierre Cossette a son étoile sur le Hollywood Walk of Fame.
En 1970, Cossette approche la National Academy of Recording Arts and Sciences (NARAS) afin de télédiffuser ce qui n’était alors qu’une banale remise de prix, tenue privément dans des hôtels de Los Angeles. L’Academy avait déjà fait une première tentative télévisuelle dans les années 1960, qui s’était avérée décevante. Cossette croit qu’on pourrait faire des Grammys ce qu’on a fait des Oscars, en les télédiffusant. Il allonge 150 000 $ pour obtenir les droits, montant réalisé en vendant ses parts dans Dunhill Records, une compagnie qu’il a fondée dans les années 1960 et qui a enregistré des groupes comme The Mamas & The Papas, Steppenwolf et Three Dog Night.
Les parents de Pierre Cossette
Convaincre les grands réseaux de télé n’a pas été de la tarte pour le « p’tit gars » de Valleyfield. Dans les années 1970, le rock and roll n’était pas bien vu par les grandes chaînes, les seules télés de l’époque. « On ne veut pas de longs cheveux avec des anneaux et des talons hauts », s’est fait dire Cossette par les grands manitous du petit écran. Rien de trop ostentatoire pour l’Amérique profonde au « cou rouge », allergique aux Sex, Drugs and Rock and Roll qui dominaient alors l’industrie (et la dominent toujours !). Pour les rassurer, il demande à Andy Williams d’animer la soirée. Un chanteur straight, provenant d’une grande famille, dont il a été le gérant. Et il invite des crooners comme Frank Sinatra et Dean Martin pour atteindre l’Américain moyen. The Rest is History… Sept cents millions de téléspectateurs. Vingt fois le Canada. Cinq cents fois notre messe dominicale, Dany.
Le jeune Pierre Cossette - Source : Capsules d’écran YouTube
De Saint-Hilaire-des-Loges à Hollywood Boulevard
Pierre Maurice Joseph Cossette est né le 15 décembre 1923 dans la Villa Cecilia, une institution de Valleyfield, aujourd’hui occupée par le Club Touriste, un resto-bar.
Ses parents, Oswald Cossette et Annette Gendron, quittent Valleyfield en 1928 (à la fin, donc, de la Grande saignée de 1840-1930) pour aller chercher fortune à l’ombre des stars d’Hollywood (à la même époque, les parents de Glen Ford quittent Portneuf pour la Californie et ceux de Pierre Rinfret partent pour New York). Oswald trouvera du travail comme pompiste dans un garage pendant qu’Annette tiendra une maison de chambres. C’est leur fils qui aura accès aux stars.
La Villa Cécilia où est né Pierre Cossette. Aujourd’hui, il s’agit d’un resto-bar populaire de Valleyfield, Le Club Touriste.- Source : Facebook
L’ancêtre, Jean Cosset dit le Potvin, venait de Saint-Hilaire-des-Loges, dans le Poitou. Il arrive en Nouvelle-France en 1666 à titre d’engagé chez Bertrand Chesnay, sur la Côte-de-Beaupré. L’année suivante, il épouse Marie-Madeleine Plouart, mais ne consomme pas le mariage, qui sera finalement annulé. Mado le poursuit devant la prévôté, alléguant que le « deffendeur s’est vanté qu’elle ne voulait point de lui et qu’elle voulait seulement une pièce d’argent ».
Jean se rabat sur la jeune Marguerite Héloy qui, elle aussi, avait fait annuler son premier mariage. À 17 ans, loin de papa et de maman, perdus dans les arpents de neige, coincés entre les Iroquois et la forêt boréale, on fait bien des conneries en Nouvelle-France. Le couple s’établit aux Écureuils (Neuville aujourd’hui). Jean sera frappé par la grande faucheuse en 1687, ainsi que deux de ses trois fils. Épidémie ? Une histoire d’Iroquois ? On ne sait pas.
François (1674-1742), le survivant, remonte le fleuve et s’établit à Batiscan. C’est là que les Cossette prospéreront pendant plus d’un siècle, jusqu’à ce qu’Alfred (1870-1955), le grand-père de Pierre, remonte le fleuve encore plus haut, en amont de Montréal. En 1914, Alfred, devenu prospère marchand de bois, acquiert la Villa Cécilia, l’une des plus belles villas de Valleyfield. C’est là que Pierre naîtra neuf ans plus tard.
Pierre Cossette a produit les Grammys jusqu’en 2005, en plus de produire les Latin Grammys et les Black Entertainment Awards. Il est venu mourir à Saint-Anicet, au Québec, en 2009. Son fils, John, a pris la relève des Grammys avant de mourir subitement en 2011. Pierre a son étoile sur le Hollywood Walk of Fame. Pas très loin de celle de Céline. René attend encore la sienne.