Depuis au-delà d’un siècle et demi, l’apparence de notre rue Saint-Louis a bien peu changé. Les façades de ses maisons remontent pour la plupart aux années 1820 à 1860. C’est comme si la rue avait figé à l’époque de la Confédération alors qu’elle était la plus prestigieuse rue résidentielle à Québec.
Des juges et des ministres y résidaient avec leurs familles et leurs domestiques. Leurs filles fréquentaient le couvent des Ursulines et leurs fils se rendaient au Petit Séminaire. Preuve s’il en faut de l’importance de la rue Saint-Louis : elle fut la première, en 1898, à être asphaltée à Québec. Et le tramway électrique y circulait depuis 1897.
C’est afin de rendre hommage à son roi Louis XIII que Samuel de Champlain avait baptisé « fort Saint- Louis » le fort qu’il avait fait construire sur le cap en 1620 (près de notre actuel Château Champlain), où il décéda en 1635. C’est que saint Louis était le patron du roi de France. Durant toute l’époque de la Nouvelle- France, on célébrera en grande pompe chaque année la Saint Louis (le 25 août). Encore aujourd’hui, on peut voir dans notre basilique-cathédrale, à la place d’honneur près du maître-autel, une grande statue dorée de saint Louis.
Le gouverneur Montmagny, qui succéda à Champlain en 1636, fit tracer le sentier qui allait devenir la rue Saint-Louis. Sur une carte réalisée par l’arpenteur Jean Bourdon en 1663, on voit qu’il y avait déjà une quinzaine de maisons le long de ce sentier. Grâce à un plan de lotissement qui nous est parvenu, on sait avec certitude qu’en 1674 cette rue était déjà connue sous son nom actuel de « rue Saint-Louis ». L’origine de son nom vient du fait qu’elle débutait au fort Saint-Louis.
Quelle allure pouvaient bien avoir les premières maisons de la rue Saint-Louis ? On peut en avoir une bonne idée en s’arrêtant devant la maison Jacquet. Cette vieille demeure, au toit rouge fort pentu, remonte à 1675, au temps du gouverneur Frontenac et de Mgr de Laval. Pas très loin résida avant la Conquête la belle Angélique Renaud d’Avène des Méloizes Péan, qui tenait salon. Elle dut fuir à l’été de 1759 avant que l’armée britannique commence à bombarder Québec. Et le 13 septembre en fin d’avant-midi, venant des plaines d’Abraham, on amena le marquis de Montcalm gravement blessé dans la maison du chirurgien Arnoux de la rue Saint-Louis. Il y mourut dans la nuit qui suivit.
Et on raconte que c’est dans une autre maison de la rue Saint-Louis, celle du sieur de Ramezay, que fut signée la capitulation de la ville de Québec le 18 septembre. Lorsqu’en 1775, l’armée britannique fit obstacle aux troupes révolutionnaires américaines, le cadavre du général américain Montgomery fut transporté rue Saint-Louis à la maison du menuisier Gaubert, qui lui fabriqua un cercueil pour l’inhumer aux abords de la porte Saint-Louis. N’acceptant point l’indépendance des États-Unis obtenue en 1783, le loyaliste Jonathan Sewell veut s’établir à Québec où il se fit construire une grande maison dans la rue Saint- Louis à l’angle sud-ouest de la rue D’Auteuil. Tandis que, dans les années 1790, ce n’était nul autre que l’un des fils du roi d’Angleterre, George III, duc de Kent, qui résidait dans la grande maison à l’angle sud-est de la rue Haldimand avec sa maîtresse, Julie de Saint-Laurent. Ce qui ne manquait pas d’impressionner et de faire jaser.
Lorsqu’en 1833 la ville de Québec fut dotée d’un gouvernement municipal, il parut naturel que peu de temps après, l’hôtel de ville fut installé rue Saint-Louis, dans une grande maison au coin nord-ouest de la rue Sainte-Ursule. Et, parmi les premiers maires, plusieurs furent des citoyens de cette rue. On peut encore voir les maisons des maires René-Édouard Caron, Narcisse-Fortunat Belleau, Ulric- Joseph Tessier et Hector-Louis Langevin. Ce dernier fut aussi l’un des Pères de la Confédération, qui célébrèrent en 1864 à l’hôtel Saint-Louis, situé à l’angle sud-ouest de la rue Haldimand, et qui fut longtemps le plus grand hôtel de Québec avant la construction du Château Frontenac. On racontait que John A. Macdonald avait pris plusieurs repas bien arrosés au vieil hôtel de la rue Saint-Louis. De vieux Québécois se rappellent encore que le premier ministre Maurice Duplessis parcourait à pied la rue Saint-Louis pour se rendre de son petit appartement du Château Frontenac jusqu’à son bureau de l’Hôtel du Parlement.
Il y eut des heures graves rue Saint-Louis. Les cortèges funèbres des premiers ministres Félix-Gabriel Marchand, Daniel Johnson et René Lévesque, quittant l’Hôtel du Parlement, empruntèrent la rue Saint-Louis pour se rendre à la basilique-cathédrale. Il y eut aussi des heures de joie, où retentirent musiques et fanfares lors des défilés de la Saint-Jean-Baptiste, du Carnaval, des Médiévales et des Fêtes de la Nouvelle-France. Dans les chagrins comme dans les bonheurs, rue Saint-Louis on entend battre le cœur de la ville.