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La croix de Malte du chevalier de Montmagny

1 février 2016 | Jean-Marie Lebel, historien

La croix de Malte du chevalier de Montmagny

Une pierre précieuse du Château Frontenac



Dans la cour d’honneur du Château Frontenac, sur le mur de l’aile de la salle de bal, au-dessus du grand arc de la porte cochère qui donne accès à la rue Saint-Louis et à la place d’Armes, est encastrée une pierre sur laquelle est sculptée une croix de Malte. Son origine est très ancienne, remontant au temps où régnait Louis Xlll et où le chevalier de Montmagny gouvernait à Québec. De récentes recherches nous aident à mieux apprécier la grande valeur symbolique et patrimoniale de cette fameuse croix.





La pierre de la croix de Malte de Montmagny -  Photo : Marc Pelletier





Le successeur de Champlain



Remontons en ce jour de juin 1636 où Charles Huault de Montmagny débarqua à Québec. Il y fut accueilli par la plupart des 200 habitants que comptait la petite ville. C’était le nouveau gouverneur et lieutenant général de la Nouvelle-France qui arrivait. Il venait prendre la place du fondateur, Samuel de Champlain, décédé six mois auparavant, à la Noël de 1635. En gravissant la côte de la Montagne, Montmagny se vit indiquer le cimetière des pionniers de Québec. On raconte qu’il se mit à genoux et pria. Puis, il atteignit la haute ville et l’église Notre-Dame-de-Recouvrance dont les Jésuites étaient les gardiens.





Le chevalier de Montmagny





Montmagny allait s’installer à la haute ville. Celui qui commandait temporairement la ville depuis la mort de Champlain, Marc-Antoine de Bras-de-Fer de Châteaufort (avec un tel nom, on ne peut que faire preuve de bravoure) remit à Montmagny les clefs du fort Saint-Louis. Et ce fut ainsi que le nouveau gouverneur s’établit dans le logis que Champlain avait occupé et où il était décédé (où se trouve aujourd’hui la terrasse Dufferin, près du kiosque d’entrée du funiculaire).



Un moine et un guerrier



Le chevalier de Montmagny gouverna la Nouvelle-France avec détermination et dévouement durant 12 ans. Il favorisa le développement de la haute ville de Québec, faisant tracer les rues Saint-Louis, Sainte-Anne et Saint-Jean, y installant les Ursulines et les Augustines. Pourtant, bien peu de gens connaîtraient aujourd’hui le nom de Montmagny si une importante ville de la rive sud du fleuve Saint-Laurent n’avait été nommée en son honneur. Il faut toutefois reconnaître que les historiens eux-mêmes connaissaient bien mal Montmagny jusqu’à tout récemment. Encore en 1966, le savant Dictionnaire biographique du Canada, qui fait autorité, ignorait le lieu de naissance de Montmagny et était incapable de donner les années de naissance et de mort du personnage. Bien des points demeuraient obscurs. Heureusement, depuis lors, les méticuleuses recherches de l’historien Jean-Claude Dubé, professeur à l’Université d’Ottawa, ont été rendues publiques en 1999. Et elles nous font connaître un fascinant Montmagny.





Noël Brulart de Sillery avec sa cape de l’ordre de Malte.





Nous savons maintenant que c’est à Paris qu’il naquit le 11 mars 1601. Appartenant à une noble famille de magistrats, il grandit à l’hôtel de Baillet de la passante rue Saint-Antoine, au cœur du quartier du Marais. Il fut formé par les Jésuites au collège de La Flèche et étudia le droit à l’Université d’Orléans. Tenté à la fois par la vie religieuse et la carrière des armes, il sut allier les deux en réussissant à faire partie du mystérieux ordre de Saint-Jean de Jérusalem dont la fondation remontait au temps des Croisades et qui était surtout connu sous le nom de l’ordre de Malte depuis son installation sur l’île de Malte en 1530. C’est sur cette île que le jeune Montmagny fit son noviciat et fut admis dans l’ordre en 1622. Devenu moine-guerrier, Montmagny parcourut la mer Méditerranée pour y combattre les Turcs.



De la Méditerranée au Saint-Laurent



Mais comment donc notre chevalier de Malte passa-t-il de la Méditerranée au fleuve Saint-Laurent où, au lieu de combattre les Turcs, il eut à affronter les Iroquois ? L’explication réside dans le fait que l’un des membres de sa parenté, Jean de Lauzon, était l’influent secrétaire de la Compagnie des Cent-Associés qui faisait le commerce des peaux de castor en Nouvelle-France. Lorsque le temps vint de trouver un successeur à Champlain, Montmagny apparut comme un excellent candidat, d’autant plus qu’un autre chevalier de Malte, Isaac de Razilly, avait fait du très beau travail en Acadie. Avec la permission de son grand maître de l’ordre de Malte, Montmagny, âgé de 35 ans, ne pouvait refuser d’occuper un premier poste de commandement. À son poste de Québec, Montmagny, que les habitants appelaient « le chevalier de Montmagny », put compter sur l’appui financier d’un autre chevalier de Malte, Noël Brulart de Sillery, qui assura la fondation de la mission de Sillery.



Montmagny, célibataire, car il avait fait vœu de chasteté en entrant dans l’ordre de Malte, fit construire à Québec son château Saint-Louis en 1647. Il y fit alors apposer la pierre gravée d’une croix de Malte qui nous est parvenue. Il en connaissait bien la signification. Les huit pointes de la croix de Malte symbolisent les huit Béatitudes du Sermon sur la montagne que fit Jésus-Christ, alors que les quatre branches de la croix rappellent les quatre vertus cardinales : la justice, la force, la prudence et la tempérance. Montmagny quitta Québec en 1648. Il devint le représentant de son ordre sur l’île Saint-Christophe, dans les Antilles, au nord-ouest de la Guadeloupe. Mais sa pierre gravée demeura à Québec.



Du château Saint-Louis au Château Frontenac



Après le départ de Montmagny, le château Saint-Louis connut au cours des ans bien des réaménagements et on finit par égarer la croix de Malte. C’est le 17 septembre 1784 que des ouvriers travaillant à la construction de ce qui allait devenir le château Haldimand trouvèrent la pierre de Montmagny ensevelie. L’ingénieur militaire James Thompson, qui avait appartenu à l’armée de Wolfe et qui dirigeait les travaux, mesura bien l’importance historique de cette pierre qui en plus d’être ornée d’une croix de Malte portait le millésime « 1647 ». C’est ainsi qu’il la fit intégrer à la nouvelle construction. Lorsqu’un siècle plus tard, le château Haldimand fut démoli en 1892 pour faire place à l’hôtel Château Frontenac, la pierre de Montmagny fut de nouveau conservée. C’est lors des grands travaux d’agrandissement du Château Frontenac en 1920 que la croix de Malte fut placée à l’endroit qu’elle occupe toujours.



Quant au chevalier de Montmagny, il termina paisiblement sa vie sur l’île Saint-Christophe (qui devint plus tard britannique et est aujourd’hui appelée Saint-Kitts). Il y décéda le 4 juillet 1657 à 56 ans. Il y fut inhumé dans le cimetière paroissial de Basseterre (cette ville a conservé jusqu’à nos jours son nom français). À Québec, la croix de Malte du Château Frontenac continue à rappeler la mémoire de ce brave chevalier et gouverneur qui devait souvent se répéter la vieille devise nobiliaire de sa famille : « Fais bien et laisse dire ».



 



 



 



 



 



 



 



 


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