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CONTE DE NOËL – Le dernier Noël de Monseigneur de Laval fut pour lui le plus beau

3 décembre 2020 | Jean-Marie Lebel, historien

CONTE DE NOËL – Le dernier Noël de Monseigneur de Laval fut pour lui le plus beau
Illustration réalisée par Daniel Abel, artiste-peintre. Technique mixte : mine de plomb-acrylique, papier d’arches Fabriano Artistico satiné (640 g-300 lb). Détails : 20,3 cm x 25,4 cm. Œuvre originale : 56 cm x 76 cm (22 po x 30 po).

Voici un conte de Noël visant à nous rappeler que chaque Noël est le plus beau ! Joyeuses Fêtes à toutes et à tous !




Le nordé s’était levé en cours de soirée. La poudrerie comme le froid n’empêcheraient point les paroissiens de se rendre à la cathédrale pour la messe de minuit. Emmitouflés, ils arrivèrent des rues Saint-Louis, Sainte-Anne et Saint-Jean. D’autres, essoufflés mais le cœur joyeux, montèrent la côte de la Montagne. D’autres, encore, transis mais les yeux pleins d’étoiles, parvinrent des lointaines terres de la Grande Allée, du côteau Sainte-Geneviève et de la Canardière.

C’était en 1707, dans la soixante-quatrième année de l’interminable règne de Louis XIV et la septième du pontificat de Clément XI. C’est Mgr de Saint-Vallier qui aurait dû célébrer la messe de minuit, mais l’évêque avait été fait captif en mer et était prisonnier en Angleterre. C’est donc Mgr de Laval, sorti de sa pieuse retraite et de son cher Séminaire, qui s’apprêtait à célébrer sa dernière messe de minuit. Usé par ses longs voyages, ses combats, ses privations, il faisait ses 84 ans.

Dans l’humble sacristie, le vieil évêque affirma d’un ton assuré : « Ce sera mon plus beau Noël. » L’entendit le vieux sacristain Sevestre, un grand sec à l’air strict, toujours austère. Il répliqua : « Sauf votre respect, Monseigneur, vous radotez. À toutes les veilles de Noël, vous prétendez que ce sera votre plus beau Noël. » Le prélat se tourna vers le sacristain et lui expliqua d’une voix douce : « Mon cher ami, le Noël qui vient sera toujours le plus beau, car il enfermera tous les Noëls précédents, avec leurs joies, leurs chagrins, leurs espérances. Nos Noëls ne s’égarent pas, ils s’entassent. » Les sourcils froncés, les yeux sceptiques, le sacristain, quoiqu’inlassable argumenteux, ne dit rien et quitta la sacristie pour aller sonner la cloche.

Dans la nef remplie de toutes ces gens qui l’estimaient, Mgr de Laval, de son pas lent et lourd, clôturait la procession. Lui vinrent à l’esprit Henri de Bernières et Louis Jolliet. Le premier, emporté par une épidémie, avait prononcé de si beaux sermons de Noël à la cathédrale. Le second, qui n’était jamais revenu d’une expédition sur la côte nord, jouait si bien à l’orgue de la cathédrale les vieux cantiques de Noël venus de France. L’évêque eut aussi une bonne pensée pour les Ursulines et les Augustines qui, cloîtrées, célébraient l’office de Noël dans les modestes chapelles.

Au-devant de la rustique crèche se recueillit Mgr de Laval, portant dans ses bras un Enfant-Jésus de porcelaine, le plus précieux souvenir lui venant de son château natal de Montigny-sur-Avre. À ses côtés, le digne marquis de Vaudreuil, gouverneur général de la Nouvelle-France, tenait dans ses bras un âne gris aux grandes oreilles, sculpté dans du bois du pays. Lorsqu’avant la messe, l’évêque lui avait rappelé que c’était une pieuse tradition, le marquis avait de nouveau accepté de bonne grâce de porter l’âne, tout en sachant bien que c’était Mgr de Saint-Vallier qui avait institué cette coutume pour rendre plus humble l’impétueux et orgueilleux gouverneur Frontenac. De son côté, l’habitant Philémon, comme autrefois son père, était fort honoré de tenir le bœuf roux cornu, aussi en bois du pays. Ne ressemblait-il pas d’ailleurs au dévoué bœuf avec lequel il labourait ses champs?

Lorsque l’évêque se pencha pour déposer tendrement l’Enfant-Jésus entre Marie et Joseph, le marquis et l’habitant l’entendirent proclamer d’une voix émue et sincère: « C’est mon plus beau Noël! » Il mourut quelques mois plus tard dans sa bien modeste chambre du Séminaire. Lui survivant un bon nombre d’années, le sacristain Sevestre, en sortant chaque hiver de leur vieille armoire l’âne gris aux grandes oreilles et le bœuf roux cornu, affirmait de son ton solennel: « Ce sera mon plus beau Noël ! »




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