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Un chevalier de Lévis toujours vivant

8 décembre 2011 | Jean-Marie Lebel, historien

Un chevalier de Lévis toujours vivant
Quelques fois par semaine, j’ai l’occasion de passer devant le parc des Braves. Et, assez souvent, j’ai l’impression d’y entendre les tumultes de la bataille du 28 avril 1760. Il me semble y apercevoir, au loin, le chevalier de Lévis donnant des ordres. La vue du haut monument éveille à tout coup des souvenirs de lectures. Les gens qui s’intéressent à l’histoire habitent une ville peuplée de vivants, certes, mais aussi de bien des fantômes.



Un Lévis que l’on ne pourra jamais oublier


En cette année 2011 qui s’achève, le souvenir du chevalier François de Lévis a été évoqué à bien des reprises, à Québec comme à Lévis. L’équipe de l’archéologue Philippe Picard a découvert, au cours de l’été, au parc des Braves, le site et des vestiges du célèbre moulin Dumont, où les hommes du chevalier de Lévis se battirent vaillamment en 1760. Et de l’autre côté du fleuve, les festivités du 150e anniversaire de la ville de Lévis ont rappelé que cette cité porte un nom glorieux.


C’est en 1861, soit il y a 150 ans, que la petite ville d’Aubigny se détachait de la municipalité de Saint-Joseph de la Pointe-Lévy et prenait le nom de Lévis, honorant ainsi un deuxième membre de la même famille Lévy ou Lévis. C’est Samuel de Champlain qui avait baptisé la pointe de Lévy (que l’on appelle communément la pointe de Lauzon de nos jours) en hommage à son protecteur, le duc Henri de Lévy, vice-roi de la Nouvelle-France. Les Lévy ou Lévis appartiennent à la vieille noblesse de France et leur ancêtre s’était illustré lors des croisades avec le roi Philippe-Auguste. Et François de Lévis fit, lui aussi, honneur à la famille en menant ses hommes à la victoire en 1760.


Le chevalier François-Gaston, Duc de Lévis
Le chevalier François-Gaston, Duc de Lévis

Cinq ans en Amérique


Peu à peu oublié à Québec après la Conquête, le souvenir du chevalier de Lévis fut ravivé à Québec à compter des années 1840 par les écrits de l’historien François-Xavier Garneau, et surtout, à compter de 1863 avec l’inauguration du monument des Braves.


Lévis ne passa que cinq ans en Amérique, mais ce furent les années les plus marquantes de sa carrière militaire. Il avait 36 ans lorsqu’il débarqua à Québec en 1756. Il était un officier aguerri. Quoique né au château d’Ajac, il avait des parents peu fortunés et la carrière des armes lui avait paru une façon honorable de gagner sa vie. À 14 ans, il avait fait ses débuts comme modeste cadet de Gascogne. Peu à peu, par son intelligence et sa bravoure, il gagna ses galons. C’est lors de la campagne de Bohême qu’il rencontra le marquis de Montcalm. En 1756, Montcalm devenait commandant des troupes à Québec et Lévis devint son second.


Monument des Braves
Monument des Braves

Lors du fatidique été de 1759, Lévis et ses soldats remportèrent, le 31 juillet, la bataille de la Montmorency sur les troupes britanniques de James Wolfe. Au mois d’août, Lévis fut dépêché à Montréal, menacé par l’armée britannique qui, finalement, rebroussa chemin. Lévis n’était donc pas présent à la bataille des plaines d’Abraham. Ce fait a été déploré par plusieurs historiens, persuadés que Lévis aurait été un homme de bon conseil pour Montcalm et aurait pu éviter le gâchis. Lorsque Lévis apprit la mort de Montcalm, il s’empressa de venir rejoindre les troupes repliées à la rivière Jacques-Cartier. Il s’apprêtait à venir attaquer les troupes britanniques lorsqu’il apprit, le 18 septembre, que la garnison de Québec avait capitulé et ouvrait ses portes aux conquérants; ce qui le mit en furie.


Durant tout l’hiver qui suivit, et qui fut terriblement froid, il prépara ses troupes pour la reconquête de Québec. Lorsqu’arriva le printemps, ses troupes surgirent au village de Sainte-Foy et se mirent en marche le 28 avril 1760 sur le chemin Sainte-Foy. À la hauteur du moulin Dumont, elles affrontèrent celles de James Murray, sorties de la ville. Les diverses tactiques de Lévis menèrent ses troupes à une éclatante victoire. Paniquées, les troupes de Murray coururent s’enfermer dans la ville de Québec.


Ironie du sort, Lévis n’avait pas suffisamment d’artillerie et de munitions pour attaquer les remparts construits par les Français et qui protégeaient les Anglais. Lévis attendit en vain des navires lui apportant des renforts, mais ce furent plutôt des navires anglais qui apparurent à la pointe de l’île d’Orléans. Avec ses troupes, Lévis se replia donc à Montréal. Devant l’arrivée des troupes de James Amherst, le gouverneur Vaudreuil força Lévis à lui concéder la victoire. Ce dernier était pourtant prêt à se battre et préféra brûler les drapeaux de ses régiments plutôt que de les donner à l’ennemi.


Lévis échappa de peu à la guillotine


Rentré en France, François de Lévis fut nommé gouverneur de la province de l’Artois par un roi Louis XV reconnaissant. C’était une fonction prestigieuse et il s’en montra digne par ses initiatives et son dévouement. Il se rendait assez souvent à Versailles. Il reçut le bâton de maréchal de France et fut fait duc. « Personne ne pouvait aller plus loin », conclura l’historien W. J. Eccles. C’est à Arras, capitale de l’Artois, que Lévis décéda en 1787, deux ans avant l’éclatement de la Révolution française. Sa veuve et deux de ses trois filles furent guillotinées par les révolutionnaires.


Plus d’un demi-siècle plus tard, en 1854, les ossements des Braves de 1760 furent inhumés officiellement dans un tombeau (sur le site du parc des Braves). Au-dessus de ce tombeau, le monument des Braves, surmonté de la déesse Bellone donnée par le prince Jérôme Napoléon, fut inauguré en 1863. Trois décennies plus tard, en 1895, fut dévoilée la statue de Lévis, dans la façade du Palais législatif. Et le chevalier de Lévis fera de nouveau parler de lui en 2012. À l’initiative de Charles-Olivier Roy (dont vous pouvez lire le reportage ci-après), une statue en bronze du chevalier prendra place sur la terrasse de Lévis. De quoi garder bien vivant un glorieux fantôme.






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