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Quand Elizabeth Taylor bâtissait de grands voiliers

9 juin 2025 | Jean-Marie Lebel, historien

Quand Elizabeth Taylor bâtissait de grands voiliers

© Archives privées de la Ville de Lévis

Elizabeth Taylor, qui devint Elizabeth Davie

Oui, aussi étonnant que cela puisse paraître, Elizabeth Taylor dirigea un chantier maritime. Toutefois, comprenons-nous bien : nous vous présenterons dans cette chronique notre Elizabeth Taylor à nous, et non point l’actrice Elizabeth Taylor, la célèbre star d’Hollywood, décédée à Los Angeles en 2011.

Nous n’oublierons jamais comment l’érudite Eileen Reid Marcil, la spécialiste de l’histoire de la construction navale à Québec et à Lévis, parlait avec enthousiasme et admiration de notre Elizabeth Taylor.

C’est en 1803 que naquit Elizabeth. D’origine britannique, elle grandit à Québec, cette vieille ville française conquise par les troupes de James Wolfe en 1759. Son père, George Taylor, y est de plus en plus impliqué dans la construction navale. L’Angleterre a tant besoin de grands voiliers ! Adolescente, Elizabeth porte intérêt au chantier maritime de son père. On raconte qu’elle l’accompagnait dans les forêts où il sélectionnait les pins, les chênes et les ormes à abattre. C’est ainsi qu’elle apprit que tel ou tel bois était nécessaire pour réaliser telle ou telle partie d’un voilier. Elle ne pouvait trouver meilleur enseignant que son père, respecté constructeur.

Elizabeth était au début de sa vingtaine lorsqu’elle fut courtisée par le jeune capitaine de navires Allison Davie. George Taylor, craignant les périls de la mer, n’accorda la main de sa fille au jeune Davie que lorsque celui-ci s’engagea à ne plus naviguer et à rejoindre son futur beau-père dans la construction navale. Le mariage fut célébré au printemps de 1825 dans la petite église presbytérienne St-Andrew, dans le Vieux-Québec. C’est ainsi qu’Elizabeth Taylor, que l’on appelait aussi Elizabeth Johnson Taylor, devint Elizabeth Davie. L’année suivante, en 1826, Elizabeth donna naissance à sa première fille à laquelle elle donna son prénom Elizabeth.

navire histoire
Chantier A.C. Davie, Lévis, vers 1940 Lévis
© Archives privées de la Ville de

En 1832, Allison Davie, quoiqu’il n’avait que 35 ou 36 ans, s’y connaissait maintenant suffisamment en construction navale pour ouvrir son propre chantier à Lévis. Il y amena son épouse et leurs jeunes enfants, et ils s’installèrent dans une confortable maison surnommée The Homestead, aux abords du fleuve, au pied de la colline de Lévis.

Au printemps de 1836, le couple avait tout pour être heureux. Mais un premier malheur frappa la maison. Elizabeth, qui attendait son neuvième enfant, eut la douleur de voir mourir son fils William Edward, qui n’avait que quatre ans. Son mari la consola du mieux qu’il put. Le 9 juin de ce même printemps, Allison traversait à Québec en barque avec le calfat Joseph Mandeville quand ils croisèrent un voilier venant d’Angleterre. Au bastingage, un homme cria : « Capitaine Davie, nous avons une lettre pour vous ! » Celui-ci monta à bord du voilier et eut l’occasion de discuter avec son capitaine. C’est en descendant l’échelle de corde pour retourner à sa barque qu’Allison se rendit compte qu’il avait oublié à bord le mouchoir contenant des noix que lui avait offert le capitaine. Il le réclama. Un homme le lui lança. En s’étirant pour l’attraper, Allison perdit pied et tomba à l’eau. Lui, qui était pourtant un bon nageur, ne reparut pas à la surface des eaux du fleuve. Son cadavre fut retrouvé sur une berge de l’île d’Orléans dix jours plus tard.

Le drame était terrible. Peu de temps après la mort de son époux, Elizabeth donnait naissance à un fils, William Taylor Davie. À 33 ans, elle se retrouvait veuve avec la garde de huit jeunes enfants, dont l’aînée n’avait que 10 ans. Et puis, il y avait le chantier naval où plusieurs pères de famille trouvaient leur gagne-pain. Son père, George Taylor, voulut bien d’abord lui donner un coup de main, mais il était malade et se faisait vieux. Pendant que Miss Hammond s’occupait des enfants à la maison, Elizabeth prit graduellement en charge l’administration du chantier et en devint finalement la grande patronne. Ce qu’elle avait appris de son père s’avérait fort utile. Elle pouvait surveiller la qualité des radoubs que ses ouvriers apportaient aux voiliers qu’on lui confiait.

Son fils George Taylor Davie grandissant, Elizabeth vit à ce qu’il reçut une bonne formation au grand chantier naval de John Munn sur la rivière Saint-Charles à Québec. En 1850, à l’âge de 22 ans, il succéda ainsi à sa mère à la direction du chantier naval. Et, parait-il qu’elle était très fière lorsqu’elle assista au lancement du premier voilier construit sous les ordres du fils.

Elizabeth mourut en 1861 à l’âge de 58 ans. Sa maison, The Homestead (maintenant appelée maison Taylor-Davie), existe encore en 2025 et on peut la visiter en se rendant au Lieu historique national du Canada du chantier A.C. Davie, à Lévis.

L’historienne Eileen Reid Marcil était persuadée que le chantier Davie n’aurait pas survécu sans l’apport d’Elizabeth et nous rappelait volontiers qu’elle avait été la première femme constructrice de navires au Canada.

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