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Chercheur de trésor des temps modernes

6 Décembre 2012| Donald Charette

Chercheur de trésor des temps modernes

Pour faire suite à notre dossier publié le mois dernier, portant

sur les grandes richesses inexploitées que sont le gaz naturel

et le pétrole, voici une histoire de flair et de persévérance qui a

conduit la compagnie minière de Québec, Virginia, à la découverte

d’un fab uleux gisement d’or sur le territoire de la Baie-James.

Bien avant que le Plan Nord ne prenne

forme, des entrepreneurs ont exploré les

régions nordiques avec le fol espoir de

trouver un gisement assez riche pour être

exploité. André Gaumond, géologue, a

mis sur pied la minière Virginia et cherché

de l’or là où il ne devait pas y en avoir, au

nord du 49e parallèle québécois.

En effet, Virginia a trouvé le gisement

Éléonore et l’a vendu pour la somme

affolante de 500 millions de dollars !

Cette découverte et sa mise à l’encan ont

provoqué une grande agitation dans le

monde minier et fait d’André Gaumond

un des prospecteurs les plus respectés au

Canada.

Ce success-story, c’est le fruit de

l’entêtement et d’un peu de chance. André

Gaumond était persuadé qu’il y avait de

l’or sur le territoire de la Baie-James et

avait entrepris de quadriller ce territoire,

malgré les avis contraires. Il aura fallu

17 ans d’exploration à Virginia pour y

arriver. « Tout le monde me disait : « André,

tu perds ton temps à la Baie-James, va en

Indonésie ou ailleurs, y’a rien à la Baie-

James » », se remémore André Gaumond,

lors d’une entrevue réalisée dans son

bureau de la rue Saint-Pierre à Québec.

À la fin des années 90, l’industrie minière

traverse une mauvaise passe, car les

investisseurs ne jurent que par les

nouvelles technologies. Le scandale Bre-X,

en 1997, généré par un faux gisement d’or

trouvé sur l’île de Bornéo, porte un dur

coup à l’industrie. L’or se transige de

200 à 300 $ l’once et n’a pas commencé

sa spirale vertigineuse.

Gaumond, ingénieur géologue de

formation, fait ses classes comme

analyste spécialisé dans les titres miniers

pour de grandes entreprises de courtage,

mais projette de diriger sa compagnie. Il

jette son dévolu sur Virginia Mining, une

« junior » qui est plus ou moins une coquille

vide à la Bourse de Montréal. Après avoir

obtenu du financement ici et en Europe,

Gaumond parcourt la planète avant de se

tourner vers le Nord québécois. Virginia

investit des millions pour explorer le

secteur La Grande à la Baie-James, malgré

les avis défavorables. Aujourd’hui, il

constate que ses partenariats financiers

ont permis à Virginia de surnager quand

les prospecteurs revenaient bredouilles

de leurs campements. Virginia a décelé,

dans des relevés faits en 1964 par

Noranda, des traces intéressantes de

cuivre et de nickel et a décidé d’explorer

les abords du lac Opinaca. « Noranda avait

fait une mauvaise lecture. La géologie de

la Baie-James est la même que celle de

l’Abitibi, formée de ceintures volcaniques.

Le problème, c’est que ce sont de

petites ceintures qui ne deviennent pas

rentables. Tu peux mourir sur le bord du

trou, comme on dit. »

Une roche de 500 millions de dollars

Coup de chance en 2002 : un employé de

Virginia tombe sur une roche qui vaudra

bientôt 500 millions de dollars.

Ce boulder, ou roche erratique, a été

lessivé par l’avancement d’un glacier, il y a

60 000 ans. Il fait à peine deux mètres sur

deux mètres. Des prélèvements sont faits

et démontreront, trois semaines plus

tard, une forte teneur en or.

Chez Virginia, c’est l’effervescence.

S’amorce alors le boulder tracing. Il s’agit

de remonter le parcours de la roche et

de trouver sa source sur un territoire de

plusieurs centaines de kilomètres.

« Un travail de détective, explique André

Gaumond. Il faut retrouver le parcours

du boulder en prenant des échantillons

d’autres roches pour mesurer leur teneur.

Si l’on dépasse la source, les teneurs

baissent et on revient sur nos pas. »

Le reste tient du roman : l’équipe de

Virginia consacre toutes ses énergies,

à l’été 2003, à identifier la source du

gisement. Peine perdue. Au dernier

jour de l’exploration, avant de fermer le

camp pour l’hiver, un géologue fourbu,

découragé, transi pousse une pointe à la

brunante sur une presqu’île et arrache à la

terre une lame mince de pierre. Cette lame

sera analysée au retour en laboratoire.

L’effleurement en question fait tout juste

un mètre et aurait pu aisément garder son secret.

Virginia a trouvé la source du boulder et

donc, de l’or. En juin, Virginia débarque

en force et décape le sol sur 300 mètres.

« Nous avons fait les quatre premiers

trous et trouvé qu’il y avait, au départ,

pour un million d’onces d’or. Ce n‘était

pas une veine d’or, mais une structure.

Néanmoins, je savais, à ce moment-là, que

j’avais une mine », commente avec une

fierté palpable le CEO de Virginia.

La découverte suscitera la convoitise; un

gisement d’or de classe mondiale, dans

un territoire accessible qui peut miser

sur une source d’énergie à proximité, a de

quoi faire saliver les minières du monde

entier. « Il y a eu de l’intérêt pour Éléonore

à travers le monde et Virginia avait

soudainement beaucoup de courtisans »,

ajoute André Gaumond, qui se rappelle la

parade des géologues sur le site jamésien.

« La question était de savoir laquelle des

12 grandes minières allait me bouffer.

Virginia était devenue une proie et c’était

une question de temps avant un take over

hostile. Moi, je voulais protéger les autres

propriétés de Virginia. »

Il faut savoir que Virginia exploitait

alors plusieurs autres gisements : Gayot,

Corvet, Assinica, Coulon… où l’on retrouve

aussi du zinc ou du cuivre. Pour se mettre

à l’abri des prédateurs, André Gaumond

a lancé une idée audacieuse : une mise à

l’encan du gisement Éléonore. « Les

12 compagnies ont eu cinq semaines

pour faire une proposition en ayant

accès à toutes les données. Je pouvais

ainsi fixer mes conditions et protéger les

autres propriétés de Virginia », explique

le président de Virginia. Éléonore a donc

été placée dans une société-fille. Pour

assurer la pérennité de l’entreprise,

Virginia a exigé une redevance aux

soumissionnaires. « Je savais que je devais

laisser aller Éléonore et c’est la meilleure

chose qui pouvait arriver », analyse André

Gaumond avec du recul.

Goldcorp de Vancouver a remporté la

mise en mettant 500 M$ sur la table.

Cette somme colossale était constituée

d’actions, se révélant une transaction

avantageuse au plan fiscal et profitable

pour les actionnaires. Virginia touche des

redevances de 100 000 $ par mois et la

mise en exploitation d’Éléonore devrait

drainer des dizaines de millions dans

les coffres de la compagnie (certains

analystes avancent le chiffre de 175 M$)…

Plusieurs ont conclu que Goldcorp

avait perdu la tête et payé beaucoup

trop cher. Éléonore s’avère toutefois un

investissement prodigieux. Les puits,

creusés jusqu’à 400 mètres sous terre,

avaient permis de mesurer le potentiel

aurifère de la mine. Depuis, Goldcorp est

descendu à 1 400 mètres de profondeur et

Éléonore n’a pas fini de livrer sa richesse.

« Ils sont rendus à 8 (millions d’onces) et

ce sera bientôt 10. Le potentiel d’Éléonore

ne s’arrête pas là. À 8, avec le prix de l’or

à 1 700 $, c’est une valeur de 17 M$ sous

terre », observe le géologue, fier de sa

découverte. Dans le Nord, les chiffres

donnent le tournis. Pour sortir son or,

Goldcorp a investi 1,4 milliard…

Éléonore est devenue un fleuron du Plan

Nord. Selon André Gaumond, il faudra

attendre deux ans avant de mesurer

l’impact du Plan Nord, mais « c’est

exactement ce qu’il nous fallait, ça va

encadrer le développement. La Baie-

James ressemblera dans quelques années

à l’Abitibi qui s’est développée avec les

mines. Nous en sommes aux premiers

balbutiements. Des camps miniers et

peut-être des villes surgiront au nord du

49e parallèle », prédit André Gaumond.

Les minières n’ont pas toujours bonne

presse et l’évocation du film Trou Story

fait tiquer le géologue qui se mord les

lèvres et parle de pratiques révolues.

« Chez Virginia, nous nous faisons

un point d’honneur de conclure,

dès le départ, des ententes avec les

communautés locales, notamment les

Cris, et nous avons des partenariats

avec toutes les communautés

autochtones. Nous avons investi

6 M$ avec le gouvernement québécois

pour décontaminer les 18 pires sites

abandonnés dans le Nord en constituant

un Fonds dédié. »

Une trentaine de compagnies ont

participé, en fait, au Fonds Restor-

Action Nunavik qui restaure des sites

abandonnés depuis 50 ans. Gaumond

montre des photos des travaux effectués

sur ces sites et signale, au passage, qu’on

en a profité pour nettoyer les tonnes de

déchets laissées par… des pourvoiries.

Son entreprise se porte plutôt bien.

Pas de dettes, un fonds de roulement de

46 M$, d’autres sites prometteurs et des

redevances tirées d’Éléonore.

L’avenir ?

« On pense qu’il y a d’autres Éléonore »,

soutient le chercheur d’or des temps

modernes.

André Gaumond dans la peau d’Indiana Jones

« Mère Nature nous a laissé des trésors

sous terre il y a trois milliards d’années et

des indices pour les retrouver. Notre métier,

c’est de retrouver ces trésors. Moi, depuis

ma jeunesse, je cherche un trésor. » André

Gaumond savait, dès son adolescence, dans son

patelin de Montmagny, qu’il allait creuser la

terre et révéler ses secrets. Il rêvait de devenir

paléontologue, prospecteur ou de déterrer des

vestiges du passé, tel un Indiana Jones. Il optera

pour la géologie, qu’il a étudiée à l’Université

Laval, avant de compléter une maîtrise à la

Polytechnique de Montréal.

Il assimile le travail du géologue ou du

prospecteur à celui d’un limier qui se sert

d’indices pour remonter l’histoire. « Il faut, dit-il,

connaître la géologie du milieu et suivre la piste

des roches. Durant l’époque archéenne (période

dans l’échelle du temps géologique que l’on situe

à 3 800 millions d’années, période où apparaît

la vie sur terre), le Nord québécois ressemblait

à Hawaï avec un chapelet d’îles volcaniques

qui ont créé des ceintures de minerais. J’ai

toujours cru que l’on retrouvait les mêmes

formations à la Baie-James qu’en Abitibi. »

Dans le cas du désormais célèbre boulder de

500 millions, André Gaumond explique que « le

glacier a agi comme une poivrière et disséminé

la roche d’origine sur des kilomètres. Sur

un territoire de plusieurs centaines de

kilomètres, ce n’est pas évident de retrouver

la source du gisement. Dans le cas d’Éléonore,

la source était située à 6 km du boulder et

l’on aurait pu passer à côté. Il y a une part de

chance, mais la chance, si tu lui donnes du

temps, elle va arriver. On mérite chacune de

nos découvertes. »

Depuis la découverte et la vente d’Éléonore,

Gaumond et l’équipe de Virginia sont les

stars de l’industrie minière et raflent les

distinctions, tant au Québec qu’au Canada.

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