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Chronique d’un musicien en confinement

27 avril 2020| Ian Simpson, musicien, Orchestre symphonique de Québec et Bellita Production

Chronique d’un musicien en confinement

Quand Sabrina Ferland, présidente de Bellita Production, m’a demandé d’écrire sur la réalité d’un musicien professionnel en confinement, je me suis demandé ce que je pourrais bien ajouter à tout ce qui a déjà été dit par des artistes ayant une bien meilleure plume que la mienne. Mais j’ai tout de même voulu me prêter au jeu parce que j’estime que le métier de musicien est méconnu et que je pourrais aider à le faire connaître. Pour savoir comment ma réalité a été touchée par le confinement, il faut d’abord expliquer ce à quoi elle ressemblait avant le 12 mars 2020.



AVANT



Il y a autant de réalités de musiciens professionnels que de musiciens. Certains enseignent, parfois en privé, parfois au primaire, et souvent à l’université. Certains jouent plusieurs styles et de plusieurs instruments. Certains font plusieurs métiers par nécessité. Ma réalité est un peu différente, et je suis privilégié. Je n’ai qu’un travail : je fais des concerts. Que ce soit pour mon employeur principal, l’Orchestre symphonique de Québec, ou pour mes autres clients en tant que travailleur autonome, je suis payé pour jouer.

Mon parcours a débuté avec de longues études. J’ai cinq diplômes dans mon tiroir. J’ai passé presque dix ans au Conservatoire à pratiquer du matin au soir, six jours par semaine. Je n’ai jamais pris plus que quelques jours de pause loin de mon instrument. J’ai dû investir des dizaines de milliers de dollars sans aucune garantie d’embauche après mes études. Ça peut paraître extrême, mais non, c’est la norme dans mon métier.

Le travail de musicien n’est pas rarissime, mais il n’est pas abondant non plus. C’est plutôt vague, mais je dirai ceci : j’ai la certitude que les musiciens ne seront jamais touchés par la fameuse pénurie de main-d’œuvre.

En revanche, mon travail est ma passion. C’est un cliché, mais c’est vrai. Et c’est indispensable parce que c’est de cette seule façon qu’un musicien peut arriver à surmonter les difficultés qui viendront avec ce choix de carrière.

PENDANT



Si beaucoup de travailleurs ont fait face à des consignes de fermeture le 13 mars, pour de nombreux artistes, ces consignes étaient tombées la veille. Quand François Legault a pris le micro le 12 mars pour annuler les rassemblements de 250 personnes, j’avais une semaine bien remplie devant moi : quatre répétitions et sept concerts. Tout a été annulé, bien sûr.

Quand une auto s’arrête, elle ralentit d’abord, mais, cette fois-ci, elle s’est arrêtée en frappant un mur de béton. Un immense choc qui allait créer des blessures. Et nous étions tous dans la même voiture. La solidarité qu’on ressent en ce moment vient justement de là.

Donc, c’est en cette période de confinement que ma vie ressemble le plus à celle du reste de la société. Je ne sais pas ce que le voisin d’en face fait comme métier, mais qu’importe, je mettrais ma main au feu que nos vies sont très semblables en ce moment. Comme tous les parents de jeunes enfants, je suis probablement plus occupé que jamais en prenant soin de mes garçons. Coup de chapeau aux éducateurs en service de garde et aux enseignants! Comme tout le monde, je suis à la maison et j’essaie de prendre cette anxiété et de la transformer en gratitude face au fait d’être à temps plein avec ma femme et mes enfants. Des moments que je n’aurais pas vécus autrement. Comme vous, je ne travaille pas, et je n’ai aucune idée du moment où je recommencerai.

APRÈS



La musique et les musiciens ont encaissé bien des difficultés depuis trente ans : la fin des bars avec musique live, la fin du disque et l’arrivée du numérique, etc. Maintenant, on peut ajouter le coronavirus à cette liste. Il me semble bien ironique que nous ayons été les premiers touchés, car nous serons parmi les derniers à être déconfinés. La question qui me hante est fort simple et fort angoissante : dans ce contexte pandémique et en l’absence d’un vaccin, dans combien de temps les gens se sentiront-ils à l’aise de revenir voir et entendre un orchestre symphonique dans une salle de 2 000 places?


On a beaucoup parlé des aînés en ce temps de pandémie, et on a souvent cherché à leur rendre hommage. Mais quelque chose est un peu passé sous le radar, à mon avis. Les gens plus âgés sont absolument indispensables aux institutions culturelles. Ce sont eux qui s’abonnent en grand nombre aux séries de concerts classiques, au théâtre et à la danse. Et contrairement aux plus jeunes, ils achètent encore des disques.

Lors d’une conversation sur FaceTime avec un ami musicien, on se questionnait sur la suite. Est-ce que ce virus serait le coup de grâce d’une industrie déjà très fragilisée? Prenez-en note : nous avons décidé que non. Nous avons décidé cela avec la même candeur (je ne dirai pas naïveté), la même passion et le même manque de preuves tangibles de succès qui nous ont poussés à faire ce métier il y a 20 ans. Pourquoi donc continuer d’y croire? Parce que les gens ont besoin de nous, et ils sont peut-être en train de le réaliser. Il faudrait le demander à mon voisin d’en face, car je suis certain que la musique, le cinéma ou les livres ont eu un rôle prépondérant pour l’aider à traverser la crise.

Qu’en sera-t-il des concerts? Est-ce que le confinement nous aura prouvé qu’on peut s’en passer? Non. J’ai écouté quelques diffusions du Metropolitan Opera. Les productions sont magnifiques, la qualité artistique est extraordinaire et le son est excellent. Je trouve cela génial que ces opéras soient diffusés auprès d’un large public, mais l’expérience n’a aucune commune mesure avec ce qu’on peut ressentir lorsqu’on est assis dans cette salle légendaire.

Pour ma part, je suis employé par l’Orchestre symphonique de Québec, le doyen des orchestres canadiens. Il a survécu à la Grande Guerre et à la grippe espagnole. À la Grande Dépression et à l’époque où les Allemands entraient en Pologne. Il était là pendant la Grande Noirceur, pendant la Révolution tranquille, et il y sera encore lorsque la COVID-19 ne sera plus qu’un mauvais souvenir. Mais pourquoi donc une telle longévité? Tout simplement parce que la musique et le concert célèbrent la vie et les liens qui nous unissent les uns aux autres.

Plus que jamais, je crois que les gens auront besoin de choses qui les feront se sentir vivants, et la musique live fait justement cela. Le public sera au rendez-vous, et moi aussi.


Source : Cet article est tiré du blogue de Bellita Production. Merci à l'artiste Sabrina Ferland, présidente de Bellita Production, d'avoir accepté la reproduction de cet article.

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