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Il y a 50 ans ouvrait la première Maison des vins à Québec

30 octobre 2023 | Jean Chouzenoux, correspondant européen

Il y a 50 ans ouvrait la première Maison des vins à Québec

En novembre 1973, sur la Place Royale du Vieux Québec, la Société des alcools du Québec (SAQ) inaugurait la première Maison des vins (MDV). Pendant un peu plus de 25 ans, ce site emblématique a été le temple des amateurs de vins de la capitale nationale et des environs.




Au fil des ans, trois autres MDV ont aussi vu le jour à Montréal, Hull (devenu Gatineau) et Trois-Rivières, pour le plus grand plaisir des passionnés du jus de la treille. Tout juste après la mise sur pied de la SAQ en 1971 et l’arrivée des premières succursales libre-service, le PDG de l’époque, M Jacques Desmeules, souhaitait offrir aux amateurs de vins et alcools fins un lieu privilégié où l’offre et la qualité du service deviendraient un modèle. C’est à M Jean Caron, qui devint ainsi le premier directeur, qu’il confia le mandat de structurer ce projet et de constituer l’équipe qui accueillerait les premiers clients.


M. Jean Caron, directeur de la MDV lors de l’ouverture en 1973.




Les secrets de la Maison Eustache Lambert-Dumont



Le lieu choisi n’avait rien d’anodin. Au cœur du premier bastion francophone d’Amérique, sur cette Place Royale tout juste rénovée et où trône fièrement le buste de Louis XIV, c’est la Maison Eustache Lambert-Dumont qui fut retenue. Fière, imposante, à l’angle de la Place, face à l’Eglise Notre-Dame-des-Victoires, avec son rez-de chaussée, ses deux étages et surtout, ses quatre voûtes de pierre en sous-sol, c’était le monument prédestiné au commerce du vin. En effet, ces grandes voûtes faisaient aisément penser aux caves à vins que l’on peut retrouver en Bourgogne, à Saint-Emilion ou en Champagne.


La Maison Eustache Lambert-Dumont à Place Royale.



Eustache Lambert-Dumont fit ériger cette demeure au XVIIiè siècle pour y tenir métier de marchand général. Auparavant, c’est la Compagnie des Cent Associés qui occupât les voûtes pour y faire divers échanges commerciaux dont la traite des fourrures. Lors de la grande phase de rénovation de la Place lancée par le Gouvernement du Québec dans les années 1960, les architectes et contracteurs ont tâché de reconstruire quasiment à l’identique en utilisant le même type de matériaux, dont la précieuse pierre des carrières de Beauport, en banlieue de Québec, pour reconstruire la façade et restaurer les voûtes.

On comprendra ici que tout cela est bien beau, mais il y en allait tout autrement pour tenir commerce selon les normes du XXe siècle ! Un quai pour la réception de marchandise ? Que nenni ! Des rouleaux convoyeurs installés à l’extérieur été comme hiver. Une porte pour le service à l’aut ? Que nenni ! Un diable en été ou une luge en hiver pour descendre les caisses jusqu’au stationnement situé à plus de 100 mètres du magasin. Un entrepôt pour la marchandise ? Que nenni ! Quatre petites pièces en racoin. Un ascenseur pour monter la marchandise au rez-de-chaussée ? Que nenni ! Un diable, deux hommes et quatre bras, par l’extérieur, été comme hiver. Chauffage et air climatisé ? Que nenni ! Frette en hiver, chaud en été et humide en plus. Eclairage adéquat ? Que nenni ! La pénombre grâce aux appliques en forme de chandeliers, chacune surmontée d’une ampoule de 5 watts, au point qu’il faille prendre plusieurs secondes afin que nos pupilles s’habituent quand on entrait dans le saint lieu. Mais avouons que tout cela contribuait au charme et que clients comme touristes (trop nombreux à l’époque) étaient au comble de l’extase en franchissant le seuil de la caverne d’Ali Baba ! À la magie des voûtes dans la semi-obscurité, ajoutons les bouteilles de mousseux présentées sur des pupitres à Champagne comme à Reims et, le Nirvana…soit cet immense foudre reconstitué et baptisé Cuvée exceptionnelle où l’on pénétrait à la lueur d’une bougie, en parlant à voix basse pour faire sa sélection de grands crus classés, Lafitte, Romanée-Conti, Yquem, etc. Tout ceci ne donnait pas une ombre triste au tableau !


Votre chroniqueur à l’intérieur de la fameuse cuvée exceptionnelle où l’on s’éclairait à la bougie.



Les tous débuts et ses pionniers



On l’a vu plus haut, M. Jean Caron tenait les rênes au début de l’aventure. Il s’est entouré d’un gérant, M. Gilles Bériau, une secrétaire, Mme Hélène Belleau, un homme à tout faire, Paul-Emile Dorval, et de cinq caissiers-vendeurs, MM. Alphonse d’Auteuil, Michel Morad, Léon Bouchard, Marc Gagnon et Allen Harvey. Se sont rapidement greffés à ce noyau MM Roger Thibault, Martin Bedford et le signataire de cette chronique, Jean Chouzenoux. On peut avancer qu’il s’agit de la première cohorte.

Vous aurez remarqué que l’utilisation du terme de caissier-vendeur pour parler des employés attitrés au service, en effet le titre de conseiller en vin, était encore à créer. Ce travail de vendeur dans les voûtes de l’auguste demeure n’avait rien à voir avec le travail accompli par leurs confrères en succursale. À preuve, la formation accélérée sur les vins et spiritueux que les jeunes de la MDV devaient suivre dès leur entrée en fonction. Le mardi matin, c’était la séance de dégustation de quelques nouveaux arrivages avant l’ouverture du magasin. Par ailleurs, les clients aguerris, les restaurateurs renommés, les membres de confréries bachiques qui se présentaient à eux voulaient obtenir de judicieux conseils pour constituer leur cave à vin, élaborer leur carte des vins, associer avec des vins de choix pour leurs menus gastronomiques. De plus, une nouvelle tradition voyait le jour au Québec, les dégustations de vins et fromages. La MDV étant dotée d’une magnifique salle de réception sous les combes; deux ou trois soirs semaines, des groupes étaient reçus pour ces soirées thématiques et ce sont ces braves caissiers-vendeurs qui officiaient comme serveurs et commentateurs.

C’est après quelques années de pratique dans ce qui allait devenir une profession que cette première équipe, sous l’impulsion de MM. Caron et Bériau, a réfléchi sur ce qui devrait advenir de leur poste. Bon gré mal gré, car le syndicat jugeait cela élitiste, ils ont rédigé eux-mêmes leur première description de poste et les tâches afférentes. Conséquemment, c’est lors de la signature de la convention collective de 1976 qui ironiquement s’est faite à la MDV, en présence de M. Jacques Parizeau ministre titulaire de la SAQ que le titre de conseiller en vin fut créé.


La première cohorte de conseillers en vin : Martin Bedford, Allen Harvey, Jean Chouzenoux, le gérant Gilles Bériau, Michel Morad, Marc Gagnon et Roger Thibault.




Rites de passage



Pendant plusieurs années, il était facile pour le consommateur de reconnaître le conseiller en vin en succursale grâce à son tablier en cuir, uniforme symbolique de son parcours et de ses connaissances. Mais dans les années 1975-1980, l’uniforme ne leur tombait pas dessus d’office, il fallait le mériter. Or, au début, ce n’est qu’une petite veste de cuir qui était attribuée au conseiller débutant. Ce n’est qu’après avoir fait ses classes, généralement au bout de 6 à 8 mois, que l’épreuve du tablier s’imposait. Le soir choisi, après la fermeture du magasin, cadres et employés se réunissaient dans les voûtes pour l’épreuve que devait traverser tout impétrant prétendant à sa cuirasse ! Ce dernier devait alors effectuer une visite guidée d’environ une heure où il était à la fois question de l’historique de la Maison Eustache Lambert-Dumont, de la vinification, du classement des crus classés, d’accords vins et mets. Suivie d’une période de questions pièges de la part des collègues, d’une analyse d’un vin servi à l’aveugle et…le boire cul sec ! Après quoi le candidat devait se retirer pendant que le jury délibérait. Si le test était réussi, c’était l’adoubement, genou au sol, pour recevoir l’accolade du cep.

L’offre de produits



A l’ouverture de la MDV en novembre 1973, l’offre de produits exclusifs
était constituée d’à peine 300 marques, dont plusieurs alcools et liqueurs présentés dans de jolis flacons. La gamme s’est enrichie au fil des ans au point de devenir l’une des plus riches et variées au monde. Il n’y avait d’ailleurs aucun répertoire pour recenser l’offre de produits. Ce à quoi les conseillers en vins (encore eux) ont vite remédié. En effet, ce sont eux qui se sont réunis quelques soirées pour inventorier tous les vins particuliers et les classer selon les couleurs et les régions. Quelques semaines plus tard sortait des presses le premier répertoire des vins et spiritueux désormais dit de spécialités.


Le premier répertoire des vins de spécialité élaboré par les conseillers en vin.



Autre fait saillant : l’arrivée, pour la première fois au Québec, des Beaujolais nouveaux, mis en ventes à l’échelle de la planète le troisième jeudi de novembre. Cinquante caisses pour une première expérience en 1974 mises en vente uniquement à la MDV de Place Royale. Puis 250 cartons l’année suivante, pour un total record de 40 000 caisses à travers tout le Québec dans les années 1980. La frénésie s’est ainsi emparée des amateurs et des médias pendant deux décennies par la magie de lancements de presse flamboyants, notamment grâce à l’apport des confréries bachiques portant leurs tenues chamarrées.


Un livre d’or rempli de signatures prestigieuses



La Maison des vins de Québec est rapidement devenue le temple du vin au Canada. La somptuosité et le caractère historique des lieux, l’offre de produits exceptionnelle, le haut niveau de qualité de service à la clientèle, les réceptions prestigieuses des caves au grenier en ont fait un lieu incontournable pour tout amateur de vins et une attraction touristique de premier plan. Or, pour toute personnalité reliée à la filière viticole et gastronomique, un passage dans le saint lieu devenait incontournable. Cela prenait d’abord la forme d’une rencontre privilégiée avec les conseillers en vin pour professer leur enseignement, puis une rencontre de presse avec les chroniqueurs spécialisés et les principaux clients de la MDV suivait dans la salle de conférence. Un poste de chargé de communications fut même créé pour gérer la forte demande, et que M. Léon Bouchard a occupé de nombreuses années.
Le protocole voulait que le dignitaire signe le livre d’or de la Maison sous les flashs crépitant des photographes. Ainsi ont laissé leur empreintes Lalou Bize-Leroy du Domaine de la Romanée-Conti, Le Comte de Lur Saluces du Château d’Yquem, la Marchesi Piero Antinori de Toscane, Nadine de Rothschild du Château Clarke, Henri Gault de la revue Gault & Millau mais pas qu'eux ! De nombreux chefs d’état ou de personnalités politiques locales et internationales sont descendus de leur limousine et ont été accueillis après que les services de sécurité eurent inspecté les lieux.


Que sont-ils devenus ?



Plus qu’un magasin de prestige, la MDV fut également un incubateur de talents, sans fausse modestie. À la connaissance pointue des produits et des arts de la table, aux aptitudes développées en service à la clientèle ou à l’aptitude de s’adresser au public et aux médias, sous la houlette du gérant M. Gilles Bériau soucieux de leur développement, les conseillers en vin étaient appelés aussi à apprendre les rudiments de la chose administrative. Par conséquent, TOUS les premiers conseillers qui sont passés par la MDV de Québec ont obtenu de l’avancement au sein de la SAQ. Michel Morad, Marc Gagnon, Allen Harvey, Roger Thibault, Martin Bedford et Jean Chouzenoux ont tour à tour d’abord été nommés directeur de succursales, certains revenant même à la direction de cette singulière MDV, avant de gravir d’autres échelons.


Une triste fin et une renaissance.



C’est en 1995 que le glas a sonné pour la MDV de Québec et ses consœurs de Montréal, Hull et Trois-Rivières. Dans un souci de démocratiser l’accès aux grands vins, les MDV ont cédé le pas à la Bannière Sélection. Mais comme la nature a horreur du vide et que les consommateurs en redemandaient, la bannière Signature a par la suite vu le jour avec à peu près la même mission que feues les MDV. Ce qui revient à dire que les Maisons des vins ont été les premières bannières de la SAQ.


Un merci spécial à Roger Thibault
À la mémoire de Jean Caron, Gilles Bériau, Marc Gagnon, Michel Morad et Paul-Emile Dorval




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