- Les ouvriers qui construisirent l’avenue Maguire, devant le presbytère et l’église de Sillery.
Donner du courage !
Lorsqu’en 1894, Alexandre-Eustache Maguire quitta le collège Bellevue du chemin Sainte-Foy, où il était aumônier, pour s’installer comme curé au presbytère de Sillery, il savait qu’il aurait de grands défis à relever. Le curé prédécesseur, malade et déprimé, avait fui deux ans plus tôt. La paroisse, qui avait auparavant été prospère, était devenue pauvre et comptait d’innombrables chômeurs. Bien des petites maisons avaient été laissées à l’abandon. Les nombreux quais du chemin du Foulon, jadis bourdonnant d’activités quand on y embarquait le bois équarri pour l’Angleterre et que l’on y construisait de grands voiliers, étaient pratiquement déserts. L’église avait besoin de grandes rénovations. Aucun prêtre ne voulait de cette paroisse. Maguire connaissait très bien la raison pour laquelle on l’avait forcé à en prendre la direction. C’est qu’il était l’un des très rares prêtres du diocèse de Québec à se débrouiller aussi bien en anglais qu’en français, et que sa nouvelle paroisse comptait un bon nombre d’Irlandais anglophones. Lui-même était petit-fils d’un immigrant irlandais qui avait traversé l’Atlantique et s’était établi à Québec.
- Le curé Alexandre-Eustache Maguire.
Le curé Maguire, qui avait 40 ans à son arrivée à Sillery, devait d’abord redonner du courage à ses paroissiens. Ce qu’il ne manqua point de faire par ses encouragements. L’état pitoyable de l’église Saint-Colomb, qui faisait face aux grands vents sur la falaise, le désolait. Ses paroissiens peu fortunés ne pouvaient être sollicités. Maguire alla donc frapper à la porte de la grande villa de son seul riche paroissien catholique, l’exportateur de bois John Sharples. Persuasif, il réussit à lui faire défrayer tous les coûts de rénovation de l’église. C’est ainsi que pendant deux ans, l’église fut un grand chantier et devint l’une des plus belles de la région (elle existe encore en 2012 et on l’appelle aujourd’hui Saint-Michel).
Besoin d’un chemin de raccourci
Un autre point tracassait le curé Maguire. Le cimetière paroissial était situé bien trop loin de l’église. Pour s’y rendre, le cortège funèbre, suivant le corbillard, attelé à deux chevaux, devait d’abord monter la longue et abrupte côte de l’Église, longeant le cimetière protestant Mount Hermon, puis tourner à droite sur le chemin Saint-Louis. Sur ce chemin, le cortège passait devant l’église anglicane Saint Michael, traversait Bergerville, longeait les terrains du cimetière irlandais, puis se rendait jusqu’à la villa Spencer Cottage (aujourd’hui Villa Bagatelle). Là, tournant à gauche, le cortège s’engageait sur le chemin Gomin. Il y avait alors une vieille et sombre forêt à traverser, que l’on appelait « bois Gomin ». Les roues du corbillard s’enfonçaient dans les ornières. On arrivait enfin dans une éclaircie où il y avait deux cimetières : le cimetière catholique de Sillery et le cimetière des Juifs de Québec. Un tel parcours était éreintant pour les chevaux et les humains.
- Le premier hôtel de ville de Sillery, de style colonial.
Le curé Maguire eut l’idée, en 1897, de construire un chemin de raccourci, en prolongeant en ligne droite, vers le nord, la côte de l’Église, qui se terminait alors au chemin Saint-Louis. Et le nouveau chemin déboucherait sur le chemin Gomin (aujourd’hui une section du boulevard René-Lévesque Ouest), un peu à l’est du fameux cimetière. Les cortèges funèbres gagneraient ainsi beaucoup de temps. Mais pour cela, il fallait acquérir une longue lisière à travers des champs et une forêt. Et c’était la propriété de Richard Reid Dobell, un protestant. Le curé alla frapper à la porte de sa villa Beauvoir du chemin Saint-Louis (aujourd’hui insérée dans le Séminaire des Pères Maristes). Dobell accepta de lui donner la bande de terre nécessaire.
Le curé Maguire fut toutefois incapable de trouver les sommes requises pour payer des ouvriers. Mais ses paroissiens, qui l’admiraient de plus en plus, décidèrent de l’appuyer et acceptèrent d’organiser des corvées et de donner de leur temps. Une centaine d’hommes participèrent aux travaux qui débutèrent à l’automne 1898. Plusieurs journées furent aussi nécessaires en 1899 et 1900. Il y avait de très gros arbres à abattre, des savanes à combler, du terrassement à faire, de la terre à étendre, des fossés à creuser… Le curé suivait les travaux attentivement. Des journalistes de Québec décrivaient ces étonnantes corvées. Les gens de Sillery retrouvaient peu à peu leur fierté. Le nouveau chemin du cimetière fut inauguré en 1900 et on vit passer un premier corbillard que suivait fièrement le curé Maguire assis dans son buggy.
La rue principale de Sillery
Dès le début du 20e siècle, les gens prirent coutume d’appeler ce nouveau chemin le « chemin du curé Maguire », puis l’« avenue Maguire ». De son vivant, le curé Maguire sut donc que son nom passerait à l’histoire. Il demeura d’ailleurs longtemps le curé de Sillery, jusqu’à sa mort qui survint au presbytère en 1934. Dans les années qui suivirent l’ouverture de l’avenue Maguire, des marchands s’y établirent. Le tramway de Québec l’atteignit en 1910, passant par la nouvelle rue Sheppard. Et c’est sur l’avenue Maguire que l’on décida d’y construire, en 1942, le premier hôtel de ville de Sillery.
Peu à peu, le curé Maguire fut oublié et la prononciation de son nom se déforma quelque peu. On sait d’ailleurs que l’une des façons de reconnaître des « étrangers » à Québec est de les entendre prononcer à l’anglaise le nom « Maguire ». C’est que les citoyens francophones de la ville prononcent « magoirre ». Et il n’y a rien de mal à cela. C’est tout simplement un signe qu’ils se sont approprié la sympathique artère. Et ne prononcent-ils pas d’ailleurs le nom de leur chère terrasse Dufferin à la française ?
Sources des illustrations : Sillery, ville modèle, 1942. Le centenaire de Sillery, 1956.