QU’EST-CE QU’UN FONDS DISTINCT ?
Légalement, un contrat d’assurance qui ne peut être vendu que par un conseiller en sécurité financière – mais que beaucoup d’entre eux refusent de proposer – le fonds distinct est en fait l’équivalent d’un fonds mutuel auquel on aurait ajouté deux garanties : une à l’échéance et l’autre au décès. Par exemple, pour un fonds 75/100, le capital investi est garanti à 75 % à l’échéance et à 100 % en cas de décès. Précisons que si, historiquement, les échéances de 10 ans étaient communes, elles sont de plus en plus délaissées au profit d’échéances de 15 ans ou 20 ans, voire beaucoup plus longues. En fait, pour une garantie à l’échéance de 100 %, la norme semble maintenant être de 15 ans ou plus.
LA VOLATILITÉ : PLUS IMPORTANTE À COURT QU’À LONG TERME
Si la garantie à l’échéance peut paraître intéressante à première vue, lorsqu’on étudie un peu l’histoire, on constate rapidement le contraire. En effet, il est important de comprendre que si les rendements des marchés boursiers et obligataires peuvent être très volatils d’une année à l’autre, ils sont beaucoup plus stables à long terme. À mesure que l’échéance augmente, il est donc de moins en moins probable que l’exercice d’une garantie soit nécessaire.
Afin de l’illustrer, j’ai effectué des calculs basés sur les rendements mensuels, de 1971 à 2024 – ce qui inclut la bulle technologique et la crise financière de 2008 –, des grands indices de référence qui représentent respectivement les marchés boursiers canadien, américain et international, et de 1986 à 2024, pour celui du marché obligataire canadien1.
Mon objectif était d’estimer le pourcentage du temps où un investisseur aurait bénéficié de l’exercice d’une garantie à l’échéance de 75 % sur des périodes de 10 ans, et d’une garantie de 100 % sur des périodes de 15 ans. Notez qu’afin d’être équitable, j’ai soustrait aux rendements mensuels 1/12 de 1 % afin de représenter les honoraires annuels qui auraient pu être payés aux conseillers et à leurs firmes.
Quels sont les résultats ? Au Canada, tant pour le marché obligataire que le marché boursier, aucune des périodes de 120 mois (10 ans) et des périodes de 180 mois (15 ans) n’a terminé en dessous du 100 % du capital investi initialement ! En fait, lors de la pire période de 10 ans pour le marché boursier canadien, le portefeuille terminait tout de même à 120 % du capital investi… Aucune garantie n’aurait donc été avantageuse !
Quant aux actions américaines et internationales, une garantie de 75 % aurait été utile dans, respectivement, 6,2 % et 0,9 % des périodes de 10 ans, mais aucune période de 15 ans n’aurait nécessité une garantie de 100 %. Précisons que le capital ne serait descendu sous la barre de 75 % au cours de pratiquement aucune période, n’eût été la force exceptionnelle du dollar canadien dans les années 2000 et au début des années 2010, qui diminuait la valeur des investissements ramenés en dollars canadiens.
L’IMPACT DES FRAIS
À cette étape-ci, vous commencez sans doute à mesurer l’inutilité des garanties à l’échéance offertes par les fonds distincts, mais il manque encore une composante importante du problème : les frais associés aux garanties. Il est difficile de connaître la moyenne de leurs coûts. Cependant, sans avoir effectué une revue exhaustive des structures de frais de tous les fonds distincts au Canada, j’en ai trouvé beaucoup qui facturent un supplément de plus de 1 % pour une garantie 75/75, en comparaison de leur version en fonds mutuels, et de près de 2 % pour une garantie 100/100. Même des fonds 75/75, investis lourdement ou entièrement en obligations canadiennes, comportaient des frais supplémentaires de près de 1 %.
Cela dit, j’ai voulu estimer le pourcentage de périodes où des portefeuilles composés de fonds distincts, à partir de 1986 pour un portefeuille équilibré2 et de 1971 pour un portefeuille d’actions3, auraient pu battre des portefeuilles similaires composés de fonds indiciels (sans impact d’une gestion active), et je devais donc établir un pourcentage de frais. J’ai été généreux en soustrayant seulement 0,6 % pour le portefeuille de fonds distincts avec des garanties à 75 % sur 10 ans, et 0,95 % pour celles de 100 % sur 15 ans.
Pour un capital initial de 100 000 $, investi avec des garanties de 75 %, un portefeuille équilibré n’aurait jamais été avantageux, alors qu’un portefeuille d’actions l’aurait été 4,2 % du temps, avec un avantage moyen de 2741 $. Cependant, lors des périodes désavantageuses, les pertes moyennes — comparativement aux portefeuilles de fonds mutuels — auraient été de 11 791 $ et 16 615 $.
Et pour les mêmes portefeuilles utilisant des fonds avec des garanties de 100 % sur 15 ans ? Sans surprise, ils n’auraient été avantageux sur aucune période. Ce qui vous surprendra peut-être, en revanche, c’est la perte moyenne par rapport aux portefeuilles de fonds mutuels : 35 222 $ pour un portefeuille équilibré et 60 205 $ pour un portefeuille d’actions !
Évidemment, les rendements passés ne sont pas garants des rendements futurs, mais on peut certainement douter de l’intérêt des garanties à l’échéance des fonds distincts, surtout lorsqu’on considère que l’investisseur moyen investira sur une période totale beaucoup plus longue que 10 ou 15 ans, et que l’impact négatif sera donc exponentiel sur une vie !
UNE FAUSSE IMPRESSION DE PROTECTION CONTRE LA VOLATILITÉ DES MARCHÉS
Autre point important à comprendre : malgré le fait que les fonds distincts soient souvent mis de l’avant comme une protection contre la volatilité – et lourdement publicisés pendant les périodes turbulentes –, il n’en est rien. Si un investisseur a besoin de retirer des fonds avant l’échéance ou d’effectuer un rééquilibrage de son portefeuille, les frais supplémentaires auront été payés pour rien. Il est ainsi frustrant de voir que certains clients se font conseiller ces produits alors qu’ils ont des objectifs à plus court terme, tels que l’achat d’une maison.
LA GARANTIE AU DÉCÈS
La garantie au décès doit également être considérée. Cependant, les marchés étant plus souvent en hausse qu’en baisse – particulièrement à long terme –, on doit être doublement malchanceux pour que ces garanties soient exercées : il faut décéder de manière prématurée, à un moment qui coïncide avec des baisses de marchés suffisamment importantes pour que les valeurs descendent en dessous des pourcentages garantis. C’est possible, mais il ne s’agit pas du scénario le plus probable. Pourquoi alors ne pas considérer plutôt l’utilisation de fonds mutuels et/ou de fonds négociés en bourse, et souscrire une police d’assurance vie si, et seulement si, un réel besoin d’assurance-vie existe ?
L’ASPECT SUCCESSORAL
D’autres arguments fréquemment utilisés pour tenter de vendre des fonds distincts concernent l’aspect successoral, et principalement la rapidité avec laquelle les sommes sont distribuées aux bénéficiaires. Effectivement, en cas de décès, les sommes seront habituellement versées en quelques semaines, mais il faut s’interroger quant à la valeur de cette rapidité par rapport aux frais mentionnés précédemment. Vos héritiers ont-ils un besoin urgent de fonds si vous décédez ? Si oui, n’y a-t-il pas de bonnes chances que vous ayez plutôt besoin d’une police d’assurance vie ? D’autres stratégies, comme des dons du vivant, n’auraient-elles pas pu être utilisées ? Ces questions suscitent une autre interrogation, encore plus fondamentale : les conseillers qui proposent ces fonds distincts ont-ils pris le temps de préparer une planification financière pour les clients à qui ils présentent ces arguments et de leur offrir différentes options ?
Le fait qu’il soit plus facile de changer une désigna- tion de bénéficiaire qu’un testament est également évoqué. Le problème avec cette affirmation est qu’un testament est nécessaire et qu’il doit tout de même être révisé à une certaine fréquence, et coordonné avec les désignations de bénéficiaires en place. D’ailleurs, les modifications requises ont probablement plus souvent à voir avec l’administration (choix des liquidateurs, néces- sité ou non de fiducies testamentaires à ce stade, choix du tuteur pour les enfants, etc.) qu’avec la répartition des legs.
Une autre affirmation trompeuse repose sur l’idée que les fonds distincts permettent d’éviter la création d’une fiducie testamentaire en prévoyant simplement que la prestation de décès soit déboursée sous forme de versements périodiques. C’est bien mal comprendre les avantages d’une fiducie testamentaire. Même dans les cas où une fiducie prévoit l’étalement des paiements à des fins de protection des bénéficiaires, cette dernière provient en général davantage du contrôle accordé par la fiducie, et de la supervision par un fiduciaire, que du simple étalement.
LA PROTECTION CONTRE LES CRÉANCIERS
Parmi tous les arguments plaidant en faveur des fonds distincts, le plus crédible est — dans la mesure où il s’agit d’un réel enjeu pour un client — celui de la protection contre les créanciers qu’ils peuvent offrir. En effet, si une désignation de bénéficiaires appropriée est faite en vertu des lois provinciales québécoises (et que leur achat n’a pas été effectué avec l’intention de frauder les créanciers), les fonds distincts peuvent être insaisissables, ce qui peut être notamment intéressant pour certains entrepreneurs et professionnels. Deux bémols doivent toutefois être apportés.
D’abord, la détention corporative n’offre pas cet avantage; du moins sans un important prix à payer. Pour que l’insaisissabilité s’applique, la désignation doit être faite au profit de bénéficiaires privilégiés du titulaire (p. ex. le conjoint légal et les enfants) ou être irrévocable. Le premier cas implique le fait que la détention soit personnelle, et dans le second, désigner comme bénéficiaire quelqu’un d’autre que la société propriétaire des fonds causerait un avantage imposable. Et si vous êtes incorporé, quel est votre réel risque de faillite personnelle considérant la protection contre les créanciers qu’offre votre société ? Détenez-vous une police d’assurance responsabilité professionnelle ?
Ensuite, le taux d’emprunt de certaines dettes surpassant largement les rendements espérés de beaucoup de portefeuilles – particulièrement pour les personnes en situation financière difficile –, il semble logique qu’une personne choisisse de liquider ses placements au lieu de laisser la situation s’envenimer. Même dans les cas de problèmes soudains, risquerait-elle de subir le processus de la faillite et ses désavantages plutôt que de vendre ses fonds ? Encore une fois, on doit se questionner sur le risque que représente réellement pour soi une faillite.
LES FONDS DISTINCTS : UN PRODUIT DE NICHE
Attention, je n’affirme pas que les fonds distincts ne sont jamais appropriés. Dans certains cas très particuliers – par exemple pour un patient en phase terminale –, ils peuvent constituer une solution à envisager parmi d’autres.
Cependant, beaucoup trop de clients ne détiennent des fonds distincts que parce que leur conseiller ne possède pas de permis de fonds mutuels ou de plein exercice, mais uniquement un permis en assurance de personnes. Il serait souhaitable que les régulateurs de l’industrie financière canadienne interdisent la vente de ce produit d’investissement — déguisé en produit d’assurance — à toute personne ne possédant pas également une licence d’investissement ou ne travaillant pas en équipe avec une personne qui en détient une. Parions que beaucoup moins de gens détiendraient des fonds distincts dans leur portefeuille…
En attendant, si c’est ce que vous possédez, vous devriez consulter un professionnel de la gestion de patrimoine afin d’obtenir un deuxième avis. Vous constaterez sans doute que ces produits ne remplacent pas une approche d’investissement disciplinée — dans un portefeuille de fonds mutuels et/ou de fonds négociés en bourse bien diversifié — combinée à une bonne planification financière.
- Les indices sont le S&P/TSX Composite Total Return (TR) pour
les actions canadiennes, le S&P 500 TR en CAD pour les actions américaines, le MSCI EAEO GR en CAD pour les actions internationales, et l’indice obligataire universel FTSE Canada. Les données ont été obtenues de Morningstar Direct et sont jugées fiables. ↩︎ - Portefeuille composé à 40 % d’obligations, 24 % d’actions canadiennes, 24 % d’actions américaines et 12 % d’actions internationales; sans rééquilibrage puisque ceux-ci réinitialisent l’échéance des fonds distincts. ↩︎
- Portefeuille composé à 40 % d’actions canadiennes, 40 % d’actions américaines et 20 % d’actions internationales; sans rééquilibrage puisque ceux-ci réinitialisent l’échéance des fonds distincts. ↩︎