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L’année où il n’y eut pas d’été

14 octobre 2025| Jean-Marie Lebel, historien

L’année où il n’y eut pas d’été

Le Pont de glace à Québec, artiste Clarence Gagnon    

Qu’ils s’en rappelèrent longtemps les gens de Québec de cette fameuse année 1816 ! N’avaient-ils pas grelotté tout au long de l’année ? Déjà, au mois de mai, le journal La Gazette de Québec, s’étonnant et s’inquiétant, se faisait l’écho des « temps extraordinaires » qui faisaient tant jaser à Québec.

En cette année 1816, la ville de Québec, petite capitale coloniale britannique depuis une cinquantaine d’années, vit au rythme du commerce du bois. Sous les ordres de patrons anglais et écossais, la main-d’œuvre canadienne-française travaille l’hiver à la construction de grands voiliers et l’été à l’embarquement du bois pour l’Angleterre. Au parlement, les discours de Louis-Joseph Papineau soulèvent les passions. Le 12 juillet, le nouveau gouverneur sir John Sherbrooke entre en fonction, mais les gens de Québec ont alors un sujet qui tracasse davantage que la politique ou l’administration publique : la température.

Il y avait certes de quoi s’inquiéter. D’abord, il n’y avait pas eu de printemps ! En avril et mai, le froid avait été constant et les chutes de neige nombreuses. Dans sa parution du 16 mai, La Gazette de Québec souligne que la neige est encore très abondante dans les champs. On peut comprendre le désarroi des agriculteurs pour qui les semences semblaient encore bien loin, trop loin… Il faut rappeler que, dans la tête des habitants de l’époque, comme le souligne si bien l’historien Yvon Desloges dans son livre Sous les cieux de Québec : météo et climat, 1534-1831, il n’y a que deux saisons : la « saison morte » et la « saison de croissance », c’est-à-dire celle des semences et des récoltes. Et il ne faut surtout pas que la saison morte, c’est-à-dire l’hiver, s’étire trop longtemps.

Pour les agriculteurs qui approvisionnent les marchés de Québec, il y a déjà tant de fléaux qui ont détruit leurs récoltes au fil des ans : des invasions de chenilles et de sauterelles, des pluies trop abondantes ou des sécheresses, des grands vents. En 1816, l’ennemi sera donc le froid.

Certes, à la fin mai, un dégel laissa croire que Québec aurait enfin un printemps en cette période où normalement les lilas étaient en fleurs. C’est donc le cœur brisé que les citoyens virent tomber sur leur ville un pied de neige les 6 et 7 juin. Prudemment, ceux-ci n’avaient pas rangé trop loin manteaux, mitaines et pelles. À toute vitesse, les agriculteurs rentrèrent leurs animaux dans leurs étables et écuries. Malheureusement, des moutons, rendus trop loin de leurs bergeries, périrent.

Un mois de juin plutôt terrifiant : les arbres se dégarnissent avant d’avoir eu le temps de faire leur feuillage. Des nuées d’oiseaux inconnus envahissent le ciel de la ville, se posent sur les mâts des grands voiliers en rade et aux quais. Des oiseaux tombent dans les rues, morts, gelés.

L’été se pointe enfin le 17 juin. Du moins l’espère-t-on. Ce jour-là, il fait 80 degrés aux thermomètres Fahrenheit en usage alors à Québec comme dans toute bonne colonie britannique. Mais, à la fin du mois, de fortes gelées viennent tout gâcher. Suivit un mois de juillet frais et pluvieux. Le 26, on pria avec ferveur la bonne sainte Anne. Que se passait-il donc ? En août et septembre, en ces temps incléments,

on ne put finalement engranger que de médiocres récoltes de grains et bien peu de foin. Heureusement, on vit arriver au port de Québec des voiliers chargés de grains et de farine, car les autorités coloniales avaient voulu éviter la famine. Mais l’hiver s’annonçait quand même long et on n’était pas près d’oublier l’été que l’on venait de traverser.

Les citoyens de Québec étaient incapables d’expliquer le dérèglement de la température. Toutefois, en juillet, Augustin Labadie notait : « Le soleil masqué par des taches ». Ce n’est que plusieurs années plus tard que l’on apprit que ces « taches » étaient des voiles de cendres volcaniques. Et, celles-ci, se déplaçant lentement, venaient de très loin. 

En effet, ce fut les 5 et 10 avril 1815, soit un an avant notre « année sans été », que se produisit en Indonésie l’une des plus violentes et plus meurtrières éruptions volcaniques de l’Histoire.

La colère du Tambora fut si terrible que ce volcan vit sa hauteur diminuer de 1 000 mètres et se former un cratère de six kilomètres de diamètre. Peu à peu, les gens de Québec apprirent que le Tambora avait provoqué le refroidissement de tout l’hémisphère nord. 

L’année 1816 est déjà bien loin de nous et les gens de Québec l’ont depuis longtemps oubliée. Pourtant, on a souvent l’impression qu’ils portent encore en eux une certaine crainte. Vous verrez au printemps prochain, si les mois de mai et de juin sont le moindrement frais, des gens s’exclameront encore, comme presque tous les ans d’ailleurs : « Nous n’aurons pas d’été ! »

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