Il va de soi que l’aménagement de tout espace commercial doit faire l’objet d’une attention particulière. Parvient-on pour autant à concevoir l’environnement en question de manière intelligente et profitable ? Quand l’intégration des arts visuels et de la musique contribue à sa stratégie d’affaires.
Consultante en gestion de collections, Jo-Ann Kane est formelle : un nombre sans cesse croissant d’entreprises se montrent sensibles aux bénéfices apportés par l’inclusion d’œuvres d’art dans leur environnement. Cabinets d’avocats ou de comptables, cafés du coin, grandes bannières commerciales s’engagent dans la démarche, utilisant les services de professionnels en la matière ou agissant de façon instinctive et spontanée.
Ayant travaillé pour la Banque Nationale pendant 12 ans à titre de conservatrice – rôle qu’elle joue toujours auprès de l’institution financière tout en offrant, depuis deux ans, ses services à d’autres clients –, Mme Kane observe un effet de stimulation lié à la présence d’œuvres dans une entreprise. « J’ai par exemple vu des personnes changer leur manière de travailler, acquérir des toiles, se mettre à fréquenter les musées », dit-elle.
« J’ai parfois réalisé des acquisitions très surprenantes pour refléter le dynamisme d’une entreprise qui souhaite démontrer qu’elle aime faire les choses différemment. »
- Jo-Ann Kane, consultante en gestion de collections, et derrière elle, la sculpture Vague de l’artiste montréalais Patrick Coutu, laquelle trône dans le hall d’entrée de la succursale principale de la Banque Nationale. (Photo : Nathalie St-Pierre)
En affaires, faire de l’art un élément stratégique se révèle donc positif à plusieurs points de vue. Chez le personnel, cela participe au renforcement du sentiment d’appartenance non seulement envers l’employeur, mais aussi à l’égard de la collection acquise. « Dans les milieux de travail, les gens ont hâte, éprouvent une fierté et attendent impatiemment l’arrivée de nouvelles œuvres », ajoute celle qui détient une maîtrise en muséologie.
Bâtir une collection suppose un important exercice de réflexion. Les œuvres doivent entretenir des liens entre elles et communiquer globalement quelque chose. Les messages à livrer peuvent être de différentes natures et ils aident l’entreprise à se positionner, à afficher ses valeurs, à contribuer à son image de marque. Et là où certains optent pour une empreinte plus classique, d’autres choisissent la voie de l’audace.
« J’ai parfois réalisé des acquisitions très surprenantes pour refléter le dynamisme d’une entreprise qui souhaite démontrer qu’elle aime faire les choses différemment. Dans une politique d’achat, l’orientation adoptée unifie les personnes autour d’une vision, les amène à penser autrement. En soi, il faut également savoir que l’acquisition d’une œuvre représente un geste d’appui à l’endroit d’un créateur », fait valoir Jo-Ann Kane.
La conservatrice précise au passage que l’objectif de collectionnement tire généralement son origine d’une idée bien définie, comme celle de favoriser les artistes québécois ou canadiens, les créations féminines, l’utilisation dans l’œuvre d’un produit vendu par l’entreprise… « Hydro-Québec, par exemple, n’acquiert que de l’art québécois pour la période qui s’étend de 1962, année de la nationalisation de l’électricité, à aujourd’hui. »
De l’expérience visuelle… à l’expérience auditive
Si l’impact généré par la présence d’œuvres d’art est bien réel, la musique constitue un média étroitement associé aux émotions et qui a aussi le pouvoir d’ajouter de la valeur à l’expérience vécue, tant par la clientèle que par le personnel d’une entreprise. Professeur agrégé au Département de marketing de HEC Montréal, Renaud Legoux s’intéresse depuis longtemps déjà à la question du marketing sensoriel.
« Que ce soit dans une boutique de chaussures, dans une épicerie ou dans un restaurant, la musique entendue doit faire partie d’un plan auquel on a réfléchi. On passe beaucoup de temps avec des décorateurs, des architectes et d’autres professionnels, mais on ne pense habituellement pas à l’architecture sonore, à la place qu’occupe la musique dans son environnement d’affaires », déclare d’emblée le professeur Legoux.
« On passe beaucoup de temps avec des décorateurs, des architectes et d’autres professionnels, mais on ne pense habituellement pas à l’architecture sonore, à la place qu’occupe la musique dans son environnement d’affaires. »
- Renaud Legoux, professeur agrégé au Département de marketing de HEC Montréal.
Un tempo lent, un volume peu élevé et une ritournelle familière inciteraient ainsi un consommateur à s’attarder davantage dans un commerce. Une musique connue dont le tempo est plus rapide et le volume plus fort encouragerait plutôt le client à quitter rapidement les lieux. « Il n’existe pas un scénario préférable à l’autre; tout dépend du comportement que l’on recherche chez une personne », insiste le chercheur.
Ce que M. Legoux confirme toutefois, c’est que la présence – comparativement à l’absence – de musique dans une entreprise se traduit par une augmentation de 2 à 3 % des comportements d’achat et que le consommateur tend à retirer plus de plaisir de son expérience. Selon lui, « de belles occasions restent encore à saisir du côté des environnements sonores en ce qui a trait au profit et à la fidélisation de la clientèle ».
L’effet de la musique sur les clients est certes à considérer, mais on ne saurait passer sous silence son influence sur les employés. « On sait que la diffusion d’une pièce peut affecter négativement les capacités cognitives; en contrepartie, elle a le pouvoir d’exacerber les émotions positives, ce qui est susceptible d’améliorer la performance d’un vendeur », indique celui qui croit en outre aux bienfaits d’une diversité musicale.
S’il apparaît évident que les choix musicaux d’une entreprise doivent correspondre à l’image qu’elle veut projeter, une autre réalité est mise en exergue par le professeur en marketing. « Quand on fait usage de pièces musicales dans un espace public, il faut songer à ceux qui les créent pour qu’ils puissent en vivre. Les ventes de disques ont chuté et on a le devoir de contribuer à cette valeur ajoutée qui profite à son commerce. »