Le parcours du peuple libanais est semé d’embûches. La récente explosion survenue au port de Beyrouth en est la dernière cicatrice éloquente. Un cataclysme ! À cela, s’ajoute une crise économique sans précédent, une situation politique totalement dégradée et, pour couronner le tout, la pandémie qui frappe le pays de plein fouet comme partout ailleurs. Ce mille-feuilles de catastrophes a l’habitude d’affronter un adversaire de taille : la résilience légendaire du peuple libanais. Résilience qui semble vaciller au regard des discussions que j’ai eues avec deux œnologues, au pays du Cèdre. Leur foi est ébranlée, l’horizon, obscurci; aucune issue ne se profile. Le pays n’est plus ravitaillé en besoins de première nécessité. Les rayons des épiceries se dégarnissent, il en est de même dans les pharmacies mettant à mal la santé des habitants. C’est désormais la révolte qui s’invite auprès d’une jeunesse desoeuvrée. La voilà qui déambule dans les rues de la capitale pour faire table rase du passé récent et tenter de dessiner les contours d’un avenir plus radieux. L’espoir fait vivre !
Le vignoble libanais
Le grenier et le garde-manger du Liban se situent au centre du pays dans une vaste plaine située à 900 mètres de hauteur. C’est la Vallée de la Bekaa. Sise entre les deux chaînes de montagnes que sont le Mont-Liban et l’Anti Liban, la végétation y est florissante grâce à l’eau qui irrigue la vallée lors de la fonte des neiges. Ainsi enclavée et à l’abri des vents marins de la Méditerranée, la rétention de la chaleur est facilitée. Cet écosystème favorise alors la pousse de céréales, de légumes, de fruits dont, bien sûr, la vigne.
Or, on retrace des vestiges vieux de 4000 ans faisant état de la présence des premiers ceps en sol libanais. Des siècles plus tard, ce sont les Jésuites venus de France qui domestiqueront la vigne pour faire de ce petit pays de 10 452 km carrés un producteur bien singulier de vins de qualité, au Moyen-Orient.
J’ai déjà eu le plaisir d’arpenter le vignoble libanais et d’y rencontrer des vignerons et des œnologues passionnés. Des hommes et des femmes issus de familles qui ont créé la filière du vin et établi la tradition viti-vinicole du pays. Enfin, il faut avoir visité l’ancienne cité romaine de Baalbek et son imposant temple érigé en hommage à Bacchus pour saisir l’importance du culte dédié au divin nectar.
Les Caves de Ksara
Château Ksara est la plus ancienne propriété viticole du Liban. Fondé en 1857 par les Pères Jésuites, le Domaine a été racheté du Vatican par quatre familles libanaises en 1971 et elles en conservent encore les rênes aujourd’hui. Il est d’une superficie de 482 hectares répartis dans toute la Vallée de Bekaa, ce qui en fait également la plus grande propriété viticole du pays. Jouissant d’un climat tempéré et nichés jusqu’à 1 000 mètres d’altitude, les ceps portent encore les cépages qu’avaient sélectionnés les religieux au XIXiè siècle : carignan, cynsault, grenache, rolle.
Elie Mamaari, l’œnologue et le directeur export des Caves Ksara, veille aux divers assemblages et à réintégrer les cépages indigènes comme le merwah afin d’élaborer un vin blanc aux saveurs typiquement locales. Comme ses collègues, Elie fait actuellement face aux difficultés engendrées par les secousses économiques qui frappent le Liban. « Le marché local s’effondre, seules les exportations permettent aux 130 employés d’être toujours en activité », mentionne-t-il. Heureusement, l’explosion survenue au port de Beyrouth n’a pas touché les quais qui reçoivent les porte-conteneurs. Le marché canadien occupe la quatrième place au chapitre des exportations de Ksara et depuis 1996, le marché québécois n’est pas en reste… On dénombre en effet une dizaine d’étiquettes différentes sur les rayons de la SAQ.
Château Saint-Thomas
Château St-Thomas fut créé en 1990 par Saïd Touma et son fils, Joe-Assaad. Saïd Touma a d’abord poursuivi la tradition familiale initiée en 1888, soit la distillation et la fermentation du jus de raisin en Arak, une eau-de-vie qui est la boisson nationale libanaise, avant de convertir la mission principale du Domaine à la production de vin.
Joe-Assaad Touma, oenologue de Château St-Thomas, et son clan.
Le vignoble de 65 hectares est exposé sur le versant oriental du Mont-Liban. Son terroir argilo-calcaire est propice à la plantation de cépages nobles tels que les chardonnay, viognier, cabernet sauvignon, merlot, pinot noir ou syrah, mais aussi, aux cépages indigènes dont le fleuron demeure l’obeidy.
Joe-Assaad est agronome et œnologue, formé aux instituts du vin de Montpelier et de Bordeaux. Entouré de sa mère Nadia et de ses sœurs Micheline, Claudine et Nathalie, il produit annuellement, avec son clan, plus de 500 000 cols de vins blancs, rosés et rouges que l’on retrouve au Québec depuis le début des années 2000.
« Ma mission est d’arriver à créer ma propre signature avec de nouveaux assemblages », me révèle Joe, lors d’un récent entretien. Un pari qu’il semble en voie de réaliser, si on juge l’imposant palmarès de médailles remportées lors des différentes compétitions internationales.
Osez le vin libanais !
Elie Mamaari et Joe-Assaad Touma sont deux amis que j’ai l’occasion de côtoyer lors de concours internationaux de dégustations de vins. Ils incarnent parfaitement l’esprit libanais et les qualités phares de ce peuple, à savoir la générosité, la joie de vivre, l’entreprenariat et la résilience. Ces valeurs que porte en étendard la diaspora libanaise et qu’elle fait essaimer partout dans le monde. J’ai contacté Elie et Joe pour les besoins de cette chronique. Je les ai senti tristes voire dépourvus face aux défis insurmontables que doivent affronter les libanaises et libanais. Leur désarroi mérite notre soutien et j’en conclus que d’acheter une bouteille de vin libanais devient, outre le plaisir qu’il procure, un geste de solidarité, un geste humanitaire !