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Plénitude dans le passage du Nord-Ouest

3 avril 2017| Sylvie Ruel

Plénitude dans le passage du Nord-Ouest
Fjord Karrat, Groenland

Le passage du Nord-Ouest, vous connaissez ? C’est la route historique qui relie l’océan Atlantique et l’océan Pacifique, l’Europe et l’Asie, à travers les îles de l’archipel arctique canadien. Pendant des siècles, de nombreux explorateurs ont tenté de franchir ce passage, au prix de naufrages et de pertes humaines. C’est le Norvégien Roald Amundsen qui, le premier, a réussi l’exploit, entre 1903 et 1906.




Cette route historique, constituée d’un dédale de chenaux, d’anses et de détroits, est praticable seulement durant l’été arctique et elle fascine toujours les navigateurs. J’ai eu la chance de m’embarquer sur l’Ocean Endeavour, un navire affrété par la compagnie canadienne Adventure Canada, pour une croisière de 17 jours dans les eaux arctiques, dont l’objectif était de franchir ce passage. Du Groenland jusqu’aux Territoires du Nord-Ouest, notre navire a parcouru plus de 5 000 kilomètres à travers des paysages d’une grande désolation et d’une incroyable splendeur. Mais qu’y a-t-il à voir là-bas ? m’ont demandé plusieurs personnes. « Pas grand-chose ! » Ou plutôt… le vide rempli d’infini.

Nous avons navigué là où il n’y a plus un arbre, au cœur d’étendues désertiques, vers des horizons sans fin. Nous avons goûté à la lumière exceptionnelle de l’Arctique, à son air pur, à son vent déchaîné. Le soir, nous avons contemplé des ciels rouges de feu, alors que le soleil refusait de se coucher. Nous avons marché sur des tapis de lichens moelleux qui, durant l’été arctique (24 heures d’ensoleillement), se transforment en tapisseries de fleurs multicolores. Nous avons observé quantité d’oiseaux, des phoques, des baleines, des bœufs musqués, des ours polaires…





Randonnée à Dundas Harbour, île Devon.






Sisimiut, deuxième ville du Groenland.






Sisimiut, deuxième ville du Groenland.





Observation des ours polaires






Le ciel arctique





C’est de Kangerlussuak, au Groenland, qu’est parti notre navire qui a navigué tout le long de la côte ouest du Groenland vers le nord, au-delà du cercle polaire. Des fjords majestueux, des glaciers imposants et une parade sans fin d’icebergs de toutes les formes et de toutes les dimensions ont constitué notre décor.

Nous nous sommes arrêtés dans des villes aux maisons colorées : tout d’abord à Sisimiut, deuxième ville du Groenland, où vivent Danois et Inuits, et presque autant de chiens de traîneaux. Et aussi à Llulissat, réputée pour son fjord de 4 000 kilomètres carrés (inscrit au patrimoine de l’Unesco) qui abrite l’un des glaciers dont le glissement est le plus rapide du monde. C’est de ce glacier que se détache la majorité des icebergs de l’Atlantique.

Rendus au détroit de Smith, qui sépare l’île d’Ellesmere du Groenland, au 78e parallèle, nous avons dû rebrousser chemin à cause des glaces. « Dans l’Arctique, chaque saison est différente et on ne sait jamais à quoi s’attendre », nous avait prévenus notre chef d’expédition.

À Foulke Fjord, nous avons admiré un immense glacier et à ses pieds, un lac glaciaire, ainsi que des vestiges de maisons de l’époque de Thulé (les ancêtres des Inuits venus d’Alaska).

Tous les passagers du navire étaient curieux de découvrir Grise Fjord, le village le plus au nord du Canada, au sud de l’île d’Ellesmere, au Nunavut. Ce bled perdu au milieu de nulle part a été créé en 1953 par le gouvernement canadien qui, voulant affirmer sa souveraineté en Arctique durant la guerre froide, a délogé des familles du Nunavik pour les implanter plus au nord. Grise Fjord, ce « lieu qui ne dégèle jamais », est situé à 1 140 km au nord du cercle polaire et à 1 544 kilomètres du pôle Nord. La température la plus froide enregistrée a été de moins 62 degrés ! « Que mangez-vous ? Comment vous habillez-vous ? Avez-vous Internet ? Avez-vous un médecin ici ? » Autant de questions posées aux habitants qui nous ont accueillis au centre communautaire avec leurs habits traditionnels, leurs danses et chants de gorge, et nous ont offert à déguster viande de baleine et peau de morse. Et comment imaginer la désolation de ce village et de ses 129 habitants lorsque s’installe l’obscurité totale, de novembre à mai ?

Un concert de milliers d’oiseaux nous attendait à l’île Coburg, avant que nous mettions les pieds dans l’île Devon, la plus grande île inhabitée du monde et l’une des 94 îles principales de l’archipel arctique canadien. Imaginez un territoire de 55 000 kilomètres carrés absolument nu et doté d’un désert polaire.

Nous nous sommes arrêtés à l’île Beechy, l’endroit mythique du passage du Nord-Ouest et nommé lieu historique national en 1975. Plusieurs explorateurs sont venus ici, notamment le Britannique John Franklin, parti en 1845 avec deux navires et 135 hommes, dont aucun n’a survécu. Des vestiges de son expédition ont été trouvés dans l’île ainsi que les épitaphes de trois membres de son équipage. Franklin lui-même n’a jamais été retrouvé. Mais nous avons dû sauter dans le zodiaque en vitesse, car nos guides avaient flairé la présence d’ours polaires.

En voguant devant Griffin Inlet, nous avons vu trois magnifiques ours blancs se faisant chauffer au soleil. Notre navire devait passer par l’île Bathurst, l’île Melville ainsi que l’île Banks à l’extrémité ouest (on y trouve la plus grande population mondiale de bœufs musqués), mais la glace a dévié notre trajet vers le sud. Nous avons admiré l’austère beauté de l’île du Prince-Leopold, une île tabulaire plissée comme un accordéon, qui sert de sanctuaire aux oiseaux arctiques, puis nous nous sommes arrêtés à l’île Somerset, particulièrement à Fort Ross, où la Compagnie de la Baie d’Hudson a installé en 1937 le dernier poste de traite au Canada arctique.

À Conningham Bay, au sud de l’île du Prince-de-Galles, les passagers à bord de zodiaques ont eu la chance d’observer près d’une vingtaine d’ours polaires ainsi que les restes de leur repas : des squelettes de bélugas. « Les gens qui viennent dans l’Arctique rêvent de voir des ours polaires avant qu’ils ne disparaissent », m’avait dit Cedar Swann, présidente de la compagnie Adventure Canada. Et bien, mes compagnons de voyage ont été servis à souhait !

Après un arrêt dans l’île Jenny Lind, au sud de Cambridge Bay, qui sert d’habitat à de nombreux oiseaux, notre navire est passé dans le détroit de Victoria, là où se trouve l’épave de l’Erebus, l’un des deux navires de John Franklin, découverts en 2014 par Parcs Canada, après plusieurs années de recherches. Puis, nous avons débarqué à la baie de Johansen, dans l’île Victoria, avant de rejoindre le village de Kugluktuk, dans les Territoires du Nord-Ouest, où s’est terminé ce voyage… qui demeurera certainement inoubliable.



Le Ocean Endeavour est un navire de 137 mètres qui accueille 198 passagers, 106 membres d’équipage et un personnel d’expédition de 30 membres : historiens, archéologues, ornithologues, botanistes, scientifiques, photographes, cinéaste et gens de communautés locales… qui sont accessibles et disponibles en tout temps auprès des passagers. Des sorties ont lieu tous les jours sur le terrain, en compagnie de guides spécialisés et armés. Ces excursions s’adressent à des gens de toutes conditions physiques. De plus, balades en zodiaques pour l’observation des oiseaux, des ours polaires et de la faune marine. Les soirées sont animées de conférences, films, ateliers, soirées de divertissements. www.adventurecanada.com



Photos : ©Sylvie Ruel





















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