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Si Frontenac était de retour dans son Vieux-Québec

11 septembre 2024| Jean-Marie Lebel, historien

Si Frontenac était de retour dans son Vieux-Québec

L’autre jour, marchant sur la terrasse Dufferin, entouré d’une multitude de touristes provenant de tous les coins du globe, il me vint soudain à l’esprit cette curieuse interrogation : que penserait de tout cela le bon vieux comte Louis de Buade de Frontenac, décédé il y a 325 ans ? Un vieux dicton dit qu’il vaut souvent mieux ne pas revenir sur les lieux où l’on a déjà vécu ou travaillé, car les choses changent rapidement et l’on risque d’être bien désappointé. Toutefois, je crois que Frontenac serait fier de retrouver son Vieux-Québec.

D’abord, il constaterait que le prestigieux Château Frontenac perpétue sa mémoire. Pourrait-il souhaiter davantage ? Cet hôtel, inspiré des châteaux de la Loire, dominant le fleuve Saint-Laurent, est le plus photographié au monde et est pour Québec ce qu’est la tour Eiffel pour Paris. La compagnie ferroviaire Canadien Pacifique qui l’inaugura en 1893 voulut d’abord l’appeler « hôtel Forteresse ». C’est un citoyen de la rue Saint-Louis, grand amateur d’histoire, Philippe Baby Casgrain, qui proposa plutôt de l’appeler Frontenac en mémoire du plus célèbre gouverneur de la Nouvelle-France : un homme de fort caractère ne pouvait que donner encore plus de prestige à l’hôtel.

Puis, à quelques pas du Château Frontenac, sous la terrasse Dufferin, Frontenac apercevrait les fondations de pierres de son château Saint-Louis que les touristes peuvent aujourd’hui voir en saison estivale. C’était une magnifique résidence où Frontenac, gouverneur de la Nouvelle-France, résida de 1672 à 1682, et de 1688 à 1698. Il y menait un grand train de vie, tenant banquets et réceptions, faisant monter des pièces de Molière. Et il disait de Québec qu’elle serait un jour la capitale d’un grand empire…

Frontenac pourrait déambuler dans les rues du Vieux-Québec d’aujourd’hui sans trop s’égarer. Voici des rues qui ont conservé leur même nom qu’à son époque : Saint-Pierre, Sault-au-Matelot, Notre- Dame, Sous-le-Fort, De Buade, Saint-Jean, Sainte-Anne, Saint-Louis, Mont-Carmel… Et à la place Royale, il retrouverait un buste du roi Louis XIV. Même si les maisons de la place Royale ont un étage ou deux de plus qu’à son époque, Frontenac en reconnaitrait la forme. Et l’église Notre- Dame-de-la-Victoire est devenue Notre- Dame-des-Victoires.

Des fortifications qu’il fit ériger après l’attaque de Phips en 1690, Frontenac retrouverait avec beaucoup d’émotions son « cavalier » (le parc du Cavalier-du- Moulin au bout de la rue du Mont-Carmel) et sa redoute Royale reconstituée lors des grands travaux de la Place Royale des années 1960-1970.

L'édifice du Vieux-Séminaire et le couvent des Ursulines ont bien changé, mais Frontenac pourrait visiter au premier endroit ce que l’on appelle encore les « cuisines de Mgr de Laval ». Et chez les Ursulines, le vieil escalier Saint-Augustin qu’ont emprunté des générations d’élèves tient bon. Et Frontenac se recueillerait quelques moments devant le tombeau de sainte Marie de l’Incarnation, décédée en 1672, l’année même où le gouverneur débarqua à Québec.

Dans la basilique-cathédrale, l’orgueilleux Frontenac serait certes étonné d’apprendre que l’évêque François de Laval, avec qui il eut souvent maille à partir, est devenu depuis 2014 « saint François de Laval » et de voir des pèlerins prier à son tombeau. Et, si alors Frontenac nous posait la question : « Et moi, où est mon tombeau à Québec ? », nous n’aurions guère le choix de lui révéler la vérité. Au lendemain de sa mort en 1698 à 76 ans, on l’inhuma dans l’église des Récollets, à la place d’Armes. Après l’incendie de cette église en 1796, ses ossements furent déplacés dans la crypte de la basilique-cathédrale. Depuis lors, après bien des chamboulements, ses restes furent perdus. Ce sont des choses qui arrivent… même dans les meilleures villes du monde.

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