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Un jour de temps gris de 1792 qu’on n’oublia pas de sitôt

22 septembre 2013| Jean-Marie Lebel, historien

Un jour de temps gris de 1792 qu’on n’oublia pas de sitôt

L’un des fleuves les plus majestueux, mais aussi les plus impétueux du monde, sépare l’une de l’autre les villes de Québec et de Lévis. Encore de nos jours, la traversée d’une rive à l’autre n’est pas toujours aisée, les deux ponts ayant leurs heures d’encombrement et les bateaux traversiers à la dérive par les glaces.

Imaginons-nous donc l’époque où l’on ne pouvait compter que sur des canots et

des chaloupes à voile pour se rendre de l’autre bord. Inévitablement, des tragédies

se produisirent. Celle de 1792, aujourd’hui oubliée, marqua pourtant longtemps les

esprits. C’est curieux comme les flots du temps finissent par effacer presque tous les

souvenirs.


DANS CETTE NOUVELLE CAPITALE DU BAS-CANADA

La tragédie de 1792 se produisit l’année même où la ville de Québec, fière d’être

devenue la capitale du Bas-Canada, voyait l’inauguration de son premier parlement.

On l’avait logé dans l’ancien palais épiscopal. Pas très loin de là se dressait la

cathédrale. Et, en cette année 1792, c’était Augustin-David Hubert qui était le curé de

la cathédrale. Il y avait longtemps que la paroisse Notre-Dame de Québec n’avait pas

eu un curé aussi populaire. C’était donc une figure très bien connue de toute cette ville

de Québec qui ne comptait alors qu’une seule paroisse et qu’un seul curé.


IL A GRANDI DANS LES RUES DE QUÉBEC

Augustin-David Hubert avait eu l’honneur d’être le premier prêtre natif de Québec à

devenir curé de la paroisse Notre-Dame de Québec. La plupart de ses prédécesseurs

provenaient de la France.

Le curé Hubert avait vu le jour le 15 février 1751 et avait été baptisé à la cathédrale.

Durant son enfance, il fut témoin de l’agitation d’une ville qui se préparait au pire. Il

avait huit ans lors du terrible été 1759 où les troupes britanniques s’emparèrent de

la ville. Jamais il n’oubliera cette année-là. Le calme revenu, le jeune Augustin-David

put faire des études au Petit et au Grand Séminaire. Il fut ordonné prêtre en 1774 par

Mgr Briand. Deux mois après son ordination, il devint curé de Saint-Joseph de la Pointe-

Lévy (qui deviendra plus tard Lauzon, puis Lévis). C’était la première fois qu’il traversait

le fleuve. Il connut une belle année sur la rive sud, et quand il la quitta pour devenir

curé de Québec en novembre 1775, il partit « regretté de tous ses paroissiens ».


LE CURÉ D’UNE VILLE APEURÉE

Lorsque Augustin-David Hubert s’installa

au presbytère de Québec à l’automne

1775, il n’avait que 24 ans. Sa paroisse

se relevait tant bien que mal des affres

de la Conquête. La cathédrale venait

d’être reconstruite. Il remarqua toutefois

que la situation était tendue à Québec.

La ville avait beau être sous la bonne

garde de la garnison britannique,

la population craignait une attaque

imminente des rebelles américains. Le

9 décembre, les troupes des généraux

révolutionnaires américains Montgomery

et Arnold entreprirent d’ailleurs le

siège de Québec. Les canons de la

première batterie ouvrirent le feu sur la

ville. Le 31 décembre, voulant profiter

d’une tempête de neige, les troupes

américaines tentèrent, à cinq heures

du matin, de s’emparer de Québec.

Elles furent repoussées par les troupes

britanniques. Montgomery fut tué et

Arnold, blessé à une jambe. L’arrivée au

presbytère de Québec n’avait donc pas

été de tout repos pour le curé Hubert.

Cette image montrant le curé Hubert fut distribuée aux paroissiens.
Cette image montrant le curé Hubert fut distribuée aux paroissiens.


SE RENDRE À L’ÎLE D’ORLÉANS

En 1787, le curé Hubert fit installer dans

sa cathédrale un tableau de la bonne

sainte Anne que les marins invoquaient

avant de prendre le large. Le curé Hubert

n’aimait guère traverser le fleuve.

Au printemps 1792, relevant d’une

longue maladie, il avait retrouvé ses

forces. On le vit même donner des

leçons de catéchisme aux enfants. Le

21 mai, il devait se rendre célébrer un

mariage à l’île d’Orléans. Le temps était

gris. Sur l’heure du midi, le curé Hubert

s’embarqua d’un quai de Québec en

compagnie de douze autres passagers

sur la chaloupe des Lachance de Saint-

Jean de l’île d’Orléans. Un prophète de

malheur aurait pu leur rappeler que le

nombre 13 porte malheur. La chaloupe

prit finalement le large sur un fleuve

plutôt menaçant. Le vicaire général Gravé,

qui les vit partir, affirmera : « la voilure de

la chaloupe nous faisait frémir ».

Près de la Pointe-Lévy, à un endroit

appelé « entre les deux églises » et

que redoutent les marins, une grande

bourrasque de vent se leva. Surchargée, la

chaloupe prit l’eau et chavira, précipitant

tous ses passagers dans les eaux glacées

du fleuve. De braves gens de Québec

et de Pointe-Lévy, à bord de six ou sept

fragiles embarcations, se portèrent au

secours des naufragés. Avant leur arrivée,

la plupart des passagers avaient péri.

Le pilote Lachance et son fils furent

rescapés, mais le sieur Mauvide mourut

en arrivant sur la rive.


L’ULTIME COMBAT

Le curé Hubert, emporté par le courant,

empêtré dans sa soutane, criant de

toutes ses forces, se débattait avec toute

l’énergie du désespoir. Il tint le coup

pas moins de 25 minutes. Un dénommé

Major parvint enfin à le toucher, mais

il fut incapable de le saisir. Devant ses

yeux, l’infortuné curé s’enfonça dans les

eaux.

L’annonce de la noyade du curé et

de citoyens de la ville se répandit

rapidement à Québec. « Toute la ville est

dans les rues, tous fondent en larmes »,

écrivit, l’après-midi même, le vicaire

général Gravé. Deux jours plus tard, à la

cathédrale, le service solennel fut, selon

la soeur Robichaud, « le plus triste et

le plus lugubre que l’on puisse voir, car

l’église retentissait des soupirs et des

regrets de tout le peuple ».


DE RETOUR DANS SA CATHÉDRALE

Le cadavre du curé Hubert ne fut

retrouvé qu’une quinzaine de jours plus

tard, le 6 juin, près de l’île d’Orléans. Le

lendemain, jour de la Fête-Dieu, le défunt

fut inhumé à trois heures du matin, à la

lueur des bougies, dans la crypte, sous la

chapelle Sainte-Famille, le bas-côté de la

cathédrale du côté de la rue Buade.

« La fin tragique du curé Hubert et de

ses compagnons d’infortune, rappellera

Pierre-Georges Roy, jeta un voile de

tristesse sur toute la région de Québec. »

Dans bien des maisons, on chanta durant

plusieurs décennies la triste « complainte

du curé Hubert », qui commençait par

ces vers :

Pleure, ville infortunée

Le plus chéri des pasteurs.

Pierre-Georges Roy, qui est décédé

en 1953, à 82 ans, se rappelait l’avoir

entendu chanter durant son enfance.

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