Plusieurs fois menacés, le grand domaine Cataraqui du chemin Saint-Louis et sa magnifique villa ont heureusement été préservés et sont de nos jours mis en valeur par la Commission de la capitale nationale du Québec.
Ces lieux sont empreints d’un charme et d’un romantisme victoriens. Aussi étonnant que cela puisse paraître, la villa était habitée il n’y a pas si longtemps encore. En effet, avec discrétion, une grande dame y résida jusqu’à sa mort, en 1972. Et, à maints égards, sa destinée eut les allures d’un véritable conte de fées.
UNE MISÉRABLE ENFANT ABANDONNÉE PAR SON PÈRE
C’est à New York que naît Catherine Lily Jennings. Quelque temps après, Catherine Rhodes Tudor-Hart sa mère Kathryn se voit abandonnée par son époux, Napoléon Augustus Jennings, et laissée seule et sans ressources financières avec trois jeunes enfants. Frank Jamieson, un beau-frère de la femme abandonnée, réussit à faire adopter la petite Catherine, lorsqu’elle a trois ou quatre ans, par sa soeur Lily. La mère de l’enfant consent à s’en départir, car elle est persuadée qu’un plus brillant avenir l’attend avec Lily et son mari, Godfrey William Rhodes, qui a un emploi important dans une grande compagnie ferroviaire. Et c’est ainsi que la petite Catherine Lily Jennings se retrouve à Cincinnati, en Ohio, et devient Catherine Rhodes. Et elle fait le bonheur de sa mère adoptive, qui avait perdu tous ses enfants en bas âge et se désespérait.
Le père adoptif, Godfrey William Rhodes, est un Canadien de naissance, ayant grandi sur le domaine Benmore à Sillery. En 1905, sa fortune faite aux États- Unis, il revient au Canada et acquiert le domaine Cataraqui à Sillery. Il s’y établit avec sa famille. Catherine, qui avait vu le jour dans un modeste logement de New York, se retrouve donc, à 21 ans, dans un château, entourée de domestiques.
ELLE S’ÉPREND DE SON PROFESSEUR DE PEINTURE
En 1909, la famille Rhodes, tout en demeurant propriétaire de Cataraqui, va s’établir en Angleterre pour quelque temps. Catherine qui, depuis longtemps, s’intéresse à la peinture, veut aller se perfectionner à Paris. Inquiets, ce sont ses parents adoptifs qui la conduisent à Paris auprès du peintre Percyval Tudor- Hart, dont ils veulent d’abord faire la connaissance. Rassurés sur la courtoisie et la douceur de ce professeur, les parents rentrent en Angleterre.
Durant trois ans, Catherine prend des leçons de ce réputé peintre d’origine montréalaise. Quoiqu’il soit un professeur plutôt austère et souvent rigoureux, elle s’éprend de lui. Le peintre n’est certes pas insensible aux charmes de l’élève, mais il est marié et père de deux enfants.
Le peintre Percyval Tudor-Hart
Catherine Rhodes Tudor-Hart
ET LE PROFESSEUR SURGIT À CATARAQUI
C’est donc toujours célibataire que Catherine revient vivre avec ses parents à Cataraqui. En 1932, Godfrey William Rhodes meurt. Sa fille Catherine continue à s’occuper de sa mère devenue invalide. Dans la grande villa de Cataraqui, isolée par la forêt, l’avenir paraît plutôt sombre pour Catherine.
Mais, à l’automne de 1933, tout change pour elle lorsqu’elle voit surgir son ancien professeur, Percyval Tudor-Hart, qui, devenu veuf, venant régler des affaires au Canada, lui rend une visite de politesse. Une idylle commence. Peu de temps après son départ, Percyval écrit : « Catherine, tes paroles m’ont bouleversé le coeur et je prie tous les dieux pour que tu aies le courage et la conscience de ta propre valeur, pour te donner, sans servitude, à celui que tu aimes dans toute la splendeur de ta liberté. » Par la suite, il lui écrira jusqu’à six lettres d’amour par semaine.
En 1935, Percyval est décidé à s’établir au Canada et à vivre à Cataraqui, car Catherine ne peut abandonner sa mère adoptive, celle qui l’a sauvée de la misère. Le mariage, célébré privément par l’évêque anglican de Québec, a lieu le 1er juin 1935. Percyval, qui en est à son troisième mariage, a 62 ans. Catherine en a 47.
Quatre ans plus tard, en 1939, Lily Rhodes, la mère adoptive, meurt. Catherine et son mari Percyval deviennent les seuls maîtres de Cataraqui. Percyval prend goût à l’horticulture et se trouve des talents pour l’aménagement paysager. Durant la guerre, il admire le général de Gaulle et soutient financièrement le mouvement France libre à Québec. En 1943, une exposition rétrospective présente son oeuvre au Musée de la province de Québec.
Catherine lisant devant la cheminée du grand salon.
UNE VEUVE ENTOURÉE DE SOUVENIRS
À la villa de Cataraqui, le peintre Tudor-Hart meurt le 8 juin 1954, à 80 ans. Devenue ainsi veuve à 66 ans, Catherine continue à résider dans la grande villa. Un régisseur-jardinier, des domestiques et un chauffeur sont à son emploi. Elle ne manque pas les offices dominicaux de l’église anglicane Saint-Michael du chemin Saint-Louis, qui fait face au cimetière Mount Hermon, où reposent les membres de sa famille adoptive Rhodes et son Percyval. Elle se rend visiter son amie Adele Stuart de la Grande Allée (dans la maison Henry-Stuart). Elle organise des banquets pour aider la Croix-Rouge. Elle donne des fruits et des légumes aux soeurs de Jésus-Marie. Et dans la tranquillité de sa villa, elle lit, elle joue du piano et elle peint.
La dernière châtelaine de Cataraqui décède en avril 1972 à 84 ans. Selon son testament, le domaine est confié à la firme Trust Royal. Ne trouvant pas rapidement un acheteur pour le domaine, Trust Royal met aux enchères tout le mobilier et les oeuvres d’art que contient la villa. Toutefois, grâce aux incessantes interventions de plusieurs amants du patrimoine, dont l’historien Frédéric Smith, qui a rédigé un magistral livre sur l’histoire de Cataraqui, la villa est finalement restaurée et les générations futures pourront l’admirer. Une partie de l’âme de Catherine Rhodes Tudor-Hart y subsistera.
Source : Les illustrations proviennent du livre Cataraqui – Histoire d’une villa anglaise à Sillery, de Frédéric Smith.