Il y a quelque temps, je suis allé rendre visite au viticulteur Tino Colla, là-bas, dans ses terres piémontaises. Le Domaine Poderi Colla, qu’il a fondé avec sa nièce en 1994, est niché dans les Langhe, magnifique région vallonnée du nord de l’Italie.
Comme la majorité des Italiens de sa génération, Tino Colla s’exprime dans un excellent français… avec cette petite couleur en plus ! Je lui pose la première question : « Tino, comment a commencé votre aventure ? » Et lui, de répondre (deux points, ouvrez les guillemets) : « Quand j’étais jeune, toutes les discussions à la maison, particulièrement à table, tournaient autour de la vigne, du raisin et du vin. Après la santé, c’était la chose la plus importante, c’était comme l’air qu’on respire. Mon père Pietro, qui est né en 1894, nous a transmis, à mon frère et à moi, cette passion du vin. Au fil du temps, cela allait devenir le rouage fondamental de notre existence, et à travers le sang de la vigne, c’est toute l’histoire de notre famille qui s’écrit.
Tino Colla et son fils Pietro, devant une partie de la gamme de leurs produits.
Bien sûr, on a tous une idée romantique du vin, des rangs de vignes alignés et verdoyants, des grands foudres de chêne dans les caves humides… Par conséquent, notre défi est de mettre en bouteille l’esprit de nos vignobles et les valeurs de notre famille. J’aime cette idée d’un produit agricole qui, somme toute, demande peu de manipulations et apporte autant, tantôt au gastronome, tantôt à celui qui s’intéresse à la géographie ou à l’histoire, tantôt à celui qui célèbre un événement marquant de sa vie.
De manière moins prosaïque, c’est d’abord mon frère Beppe, né en 1930, qui a pris les rênes du Domaine en 1949, à la suite de notre père. Beppe m’a suggéré de parfaire mes connaissances en Bourgogne. Donc, en 1969, je suis allé étudier l’œnologie à Beaune et j’ai effectué un stage au laboratoire œnologique de Max Léglise. Le leitmotiv de Max Léglise était de toujours respecter la nature. De retour en Italie, j’ai été œnologue-conseil pour des producteurs de ma région. Fort de ces acquis, je suis revenu aux côtés de mon aîné, en 1986. Plus tard, après moult péripéties, Federica, la fille de Beppe, et moi avons lancé l’aventure de Poderi Colla, qui compte aujourd’hui trois propriétés à Barolo et Barbaresco, et près de 30 hectares de vignes.
« Le vin est un produit de partage, qui a la faculté de nous ouvrir aux autres, et aux autres, de s’ouvrir à nous ! »
Tino, prodiguant son cours d’histoire sur la région piémontaise qu’il aime tant…
Nos débuts ont été calamiteux ! Durant l’été 1994, il est tombé, en deux jours, l’équivalent d’une année de pluie… et les paroles de Max Léglise me trottaient dans la tête : “Il faut toujours respecter la nature, qui est bien plus forte que nous !” Alors, j’ai philosophé… “On va apprendre de nos malheurs !” De toute façon, le Piémont est une région bénie des dieux; il y a ce terroir unique et des cépages qui, au fil des siècles, se sont merveilleusement adaptés à nos terroirs.
Notre approche, en tout respect de la nature, consiste à ne pas trop manipuler la matière première. Comme disait mon père, le secret réside dans les choses simples. Quand le consommateur ouvre la bouteille, il doit comprendre ce que le vigneron a voulu mettre dedans; ce sont d’abord des raisins et leurs saveurs fruitées. Notre force à nous, c’est le nebbiolo. C’est le cépage au plus long cycle végétatif au monde, qui donne des vins riches et élégants.
Beppe, le frère aîné qui a fortement inspiré le jeune Tino…
Aujourd’hui, on fait du bon vin partout. Il faut savoir se démarquer. Pour Poderi Colla, c’est en produisant des vins équilibrés et agréables à boire en jeunesse, mais qui gagneront en complexité en vieillissant. Aujourd’hui, grâce au vin, ma plus grande satisfaction vient des relations amicales que j’ai développées avec des gens d’un peu partout sur la planète. Le vin est un produit de partage, qui a la faculté de nous ouvrir aux autres, et aux autres, de s’ouvrir à nous ! » (Fermez les guillemets.) Pas de deuxième question.
Poderi Colla, la suite…
Les piliers sur lesquels reposent les valeurs de la famille Colla sont la famille, l’amitié et l’histoire. Le père de Tino lui disait : « Si tu veux que tes descendants se souviennent de toi, construis tes archives. » Tino s’y applique, collige et rédige l’arbre généalogique de la famille, qui travaille dans les vignes depuis 1703. Aujourd’hui, son fils Pietro travaille en cave. Il a terminé son cours d’œnologie et est allé travailler un temps en Espagne, en France et en Australie. Là-bas, il a appris des choses sur ce que la génération de son père sait moins faire : le marketing ! Et Tino de renchérir : « Pas pour copier les autres… pour puiser quelques idées ! »