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L’effet millésime

4 avril 2013| Jean-Sébastien Delisle

L’effet millésime

Outre l’éternelle question « Qu’est-ce qu’on boit avec ce mets ? »,

l’interrogation à laquelle je suis le plus souvent confronté est celle du

millésime : « Lequel est le meilleur, selon vous ? » Et pour être tout à fait franc, je suis un peu las d’y répondre. Je vais donc vous avouer franchement ce que j’en pense… Sans contester l’impact indéniable du climat sur la vigne, je m’aperçois que cet « effet millésime » est aujourd’hui surévalué. Explications.

Évidemment, comme je suis un sommelier

de mon époque, j’ai reçu une éducation

vitivinicole sur fond d’oenologie moderne.

Les vins élaborés depuis 20 ans n’ont jamais

été aussi francs, nets et bons. Le bagage

technique et matériel des vignerons leur

permet de pallier de plus en plus aisément

les contraintes saisonnières. Les vins des

années 1960 à 1980, issus des balbutiements

de l’oenologie en tant que science, étaient

donc beaucoup plus tributaires du climat.

Aujourd’hui, à moins d’un cataclysme, il est

possible de produire du vin de qualité, quels

que soient son origine ou son millésime.

Il faut aussi comprendre l’impact commercial

considérable du « grand millésime », ce

qui entraîne inévitablement le jeu des

spéculations, surtout en ce qui concerne les

vins de garde des plus grands terroirs. Par

exemple, combien de « millésimes du siècle »

a-t-on annoncés depuis 15 ans à Bordeaux :

2000, 2005, 2009, 2010 ? Quand on sait

que ces vins mettent au moins dix ans à se

dévoiler, il s’agit de prédictions pour le moins

hasardeuses, d’autant plus que chaque

bouteille devient unique avec le temps et

qu’elle évolue selon une tangente qui différera

d’une autre fiole. D’où l’adage : il n’y a pas de

grands vins, il n’y a que de grandes bouteilles…

Pour vous aider à classer la qualité des

millésimes, la SAQ et quantité de spécialistesleur attribuent une note.

C’est pratique,

me direz-vous ! J’en conviens…Toutefois, si

l’on compare ces différents tableaux des

millésimes par région viticole, on constate

rapidement que les cotes ne sont pas les

mêmes. Pour une même région et une

même année, il peut exister des écarts

considérables… Se cacherait-il une notion

de subjectivité derrière ce système ?

Alors, comment s’y retrouver ? D’emblée,

il est incontestable que les conditions

climatiques ont un effet majeur sur le

vin et je crois que ce sont les vignerons

qui sont les mieux placés pour en parler.

Pour preuve, une déclaration du célèbre

oenologue bordelais Michel Rolland, que j’ai

rencontré, ici même, il y a quelques mois.

Il racontait son expérience de dégustation

sur les millésimes 2009 et 2010 à Bordeaux.

Si la presse continue de prétendre que

2009 est le meilleur millésime des deux,

son constat offrait une autre perspective.

Il a révélé qu’il a goûté le meilleur

cabernet franc en barriques de sa carrière

– qui couvre déjà quatre décennies sur le

millésime 2010 – au château Cheval Blanc.

Le meilleur conseil que je puisse vous

donner est le suivant : on achète les petites

maisons dans les grandes années et les

grandes maisons dans les petites années.

rêver

Gérer le consentement