Quand j'avais 18 ans, une soirée arrosée au cognac suivie de palpitations cardiaques m'avait convaincu de ne plus jamais consommer d'alcool de ma vie, sauf des bières ou peut-être même du vin. Le « peut-être » est arrivé quelques années plus tard. Et il s'est transformé en « assurément ».
Ma merveilleuse passion du vin a débuté en 1986, alors que je m'apprêtais à lancer ma boîte de pub à 22 ans. En 1987, j'avais bu quelques vins sans apprécier la chose. Avec le peu de moyens dont je disposais, je me suis attardé à un petit vin de coopérative espagnol vendu à 5,40 $. Ce vin costaud se nommait Unión.
À travers mes aventures d'affaires comme publicitaire et technologue, j'ai eu la chance de lancer une entreprise, il y a 10 ans, à Madrid. J'ai ainsi pu y explorer les facettes du tempranillo, autant dans les petits crianza que dans les plus grands vins du Ribera del Duero, ma région préférée. Du Vega Sicilia au Pingus, en passant par de plus simples nectars tels que Aalto, Pesquera, Condado de Haza ou Arzuaga, on n'est jamais déçu si l'on a la sagesse d'attendre que le vin soit prêt. Mon ami Jean B. et moi nous sommes toujours demandé pourquoi donc des gens boivent de magnifiques 2013 en 2016 ? Au petit matin, mangent-ils aussi des bananes vertes ?
Choco-tabac-cuir
Il y a dans ces Ribera del Duero (les rives du Douro) des parfums uniques de tabac, de chocolat et de cuir mouillé. C'est comme si la rondeur veloutée du nez d'un pinot noir se mariait avec la structure carrée d'un cabernet franc, pour se cacher dans la couleur noir sang.
Viva España !
Tempranillo : le cépage de ma vie.
À bas le jus de planche !
« Avant que l'argent n'envahisse et n'intoxique l'industrie de façon contre-productive, le vin était la fusion de l'art et de la science. »
La vision capitalistique de l'industrie des vins de nos jours n'intègre guère la notion de subtilité et tend à générer une pensée unique, un goût nivelé et copié sur les pires vins. Le vin n'a pas de personnalité ou pire, il a des défauts ? Pas de problème : jetons-y quelques poches de copeaux de chêne (ou de brins de scie) et ça maquillera la chose. Ça donnera un vin boisé ! Ils produisent volontairement un jus de planche désastreux.
Ces vins ne devraient pas avoir le droit de s'appeler « vin ». On devrait lire sur leur étiquette : « cocktail de vin et de jus de planche »...
Je déteste ces faux artisans qui intoxiquent l'industrie et qui popularisent un goût du vin imposteur auprès des jeunes générations qui, comme moi à l'époque, disposent peut-être de peu de moyens et doivent s'offrir une merde déjà trop chère à 5 euros avec, en prime, un mal d'estomac et une migraine le lendemain.
Et d'un autre côté, lorsqu'un vin est grandiose, on le vend à un prix déraisonnable. Imaginez : en 2007, la Rolls Royce du cabernet sauvignon en Médoc se vendait 1500 $ le flacon à la SAQ. Ce merveilleux Lafite Rothschild n'en vaut pas la peine pour une telle somme. On est loin des 13,70 $ exigés par la Régie des Alcools du Québec pour le même Lafite en 1968 (en passant, son nez fut splendide lors de sa dégustation, même après 40 ans).
Avant que l'argent n'envahisse et n'intoxique l'industrie de façon contre-productive, le vin était la fusion de l'art et de la science. C'était, en fait, probablement la seule véritable science - avec l'architecture - qui exige l'art pour rehausser la qualité et le résultat.
Par ailleurs, il faut bien admettre que le vin est un produit vivant qui atteint rarement son apogée, car les buveurs sont impatients.