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Professionnels : devriez-vous vous incorporer ?

10 septembre 2024| Olivier B. Ampleman, Financière Banque Nationale

Professionnels : devriez-vous vous incorporer ?

Olivier B. Ampleman CFA, CAIA, M. Fisc., Pl. Fin., TEP, conseiller en gestion de patrimoine et gestionnaire de portefeuille. Équipe Ampleman Financière Banque Nationale Gestion de patrimoine

Dans les mois qui ont suivi le dernier budget fédéral, l’attention de la communauté fiscale et financière a largement été tournée vers le choix de cristalliser ou non les gains en capital latents avant le 25 juin, en raison de l’augmentation du taux d’inclusion du gain en capital de la moitié aux deux tiers.

Maintenant que cela est derrière nous, d’autres questions devront être examinées, dont celle de la pertinence de s’incorporer pour les professionnels. En effet, bien que celle-ci se posait déjà pour plusieurs, l’augmentation du taux d’inclusion signifie que davantage d’entre eux devront y réfléchir à deux fois avant de passer à l’acte.

L’INCORPORATION, AVANTAGEUSE FISCALEMENT ?

Corrigeons d’emblée un mythe tenace : non, s’incorporer ne permet pas automatiquement d’économiser des impôts. Il est vrai qu’une société paie généralement un taux moindre sur ses revenus actifs – entre 12,2 % et 26,5 % au Québec, selon son admissibilité aux déductions pour petite entreprise (DPE) fédérale et provinciale –, mais cet argent devra par la suite être imposé au niveau personnel, pour l’actionnaire qui le recevra sous forme de dividende, afin de lui être accessible.

En théorie, la charge combinée devrait être équivalente à celle de l’actionnaire s’il avait gagné les revenus directement. C’est ce que l’on nomme l’intégration, un principe fondamental du système fiscal canadien qui veut que l’on soit indifférent au fait de gagner un revenu dans une société ou personnellement. Même s’il est plutôt respecté en pratique pour les revenus actifs, la facture est normalement légèrement supérieure du côté incorporé.

Alors, quel est l’avantage ? En fait, l’intérêt principal du point de vue fiscal réside dans le mécanisme de report d’impôt, qui permet de conserver davantage d’argent dans la société en vue de développer son activité commerciale (p. ex. en acquérant des équipements ou en embauchant du personnel) ou d’investir dans un portefeuille de placements. Si ce report est suffisamment important – selon les montants, la durée et les rendements –, on peut effectivement être gagnant même en ayant payé plus d’impôts et des frais additionnels tout au long de la vie de la société (frais d’incorporation et d’organisation, honoraires comptables et fiscaux, frais légaux, etc.).

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UN AVANTAGE QUI DÉPLAÎT AU GOUVERNEMENT

Cependant, comme l’objectif du gouvernement est de stimuler la croissance des entreprises, et non de conférer un avantage fiscal à ceux qui investissent dans un portefeuille de placements, différentes mesures fiscales ont été mises en place dans les dernières années, qui ont eu une incidence particulièrement importante pour les professionnels.

Ainsi, depuis 2017, les sociétés n’ont accès à la pleine DPE du Québec que si elles engagent au moins 5 500 heures de travail par an. Comme il est possible d’avoir droit à la déduction fédérale sans se qualifier à la provinciale, et que celle-ci nécessite de s’imposer ensuite sur un dividende non déterminé imposable à « gros taux » par les deux paliers de gouvernement, il en résulte une surimposition sur ces revenus actifs de 6 % à 8 %.

À cela s’ajoute notamment la sous-intégration des revenus de placement. En effet, les revenus ordinaires – comme les revenus d’intérêt – étaient déjà surimposés de 51⁄2 % à 71⁄2 % lorsque gagnés dans la société. Toutefois, avec l’augmentation du taux d’inclusion du gain en capital dès le premier dollar pour les sociétés, tandis qu’elle ne s’applique que sur l’excédent de 250 000 $ pour les particuliers, la surimposition des gains en capital, elle, se situe maintenant entre 91⁄2 % et 121⁄2 % jusqu’à ce seuil.

On comprend donc pourquoi le report d’impôt est devenu beaucoup moins intéressant, et que, dans la majorité des cas, la maximisation des régimes enregistrés soit plus avantageuse que le maintien des surplus dans la société. Les montants et la durée nécessaires pour que l’incorporation soit attrayante ont ainsi considérablement augmenté.

Soulignons que certains avantages fiscaux additionnels existent, mais qu’ils ne sont pas toujours pertinents : déduction pour gains en capital, mise en place d’un régime de retraite individuel, possibilité d’effectuer des dépenses non déductibles à un coût fiscal moindre, opportunités (limitées) de fractionnement de revenus, etc. Il faudra analyser chaque situation dans son ensemble.

LA FAMEUSE PROTECTION CONTRE LES CRÉANCIERS

Un autre avantage est la protection contre les créanciers que confèrent à l’actionnaire la personnalité juridique propre et le patrimoine distinct de la société. Cependant, dans le cas des professionnels, un bémol important doit être soulevé : ce « voile corporatif » ne peut dissimuler leur responsabilité professionnelle. Un professionnel doit donc se questionner quant aux réels risques d’affaires qu’il court.

NE PRÉCIPITEZ PAS VOTRE INCORPORATION

Même dans les cas où l’incorporation pourrait s’avérer avantageuse sur le plan fiscal, elle pourrait ne pas l’être immédiatement. Ce pourrait être le cas en début de carrière, alors que les revenus ne sont habituellement pas à leur maximum, et que les besoins en liquidités peuvent être élevés (remboursement de dettes, achat d’une maison, naissance d’un enfant, etc.). De même, commencer à exercer en fin d’année civile risque de ne pas engendrer suffisamment de revenus pour justifier de s’incorporer au cours de celle-ci.
Il peut être tentant de s’incorporer rapidement – être président de sa propre société a un certain côté « glamour » –, mais cela vient avec des inconvénients qui pourraient surpasser les bénéfices, ainsi qu’une lourdeur administrative incontestable. Ne soyez pas trop pressé de complexifier votre situation fiscale et financière, et surtout, consultez vos professionnels !

Quelques questions à vous poser

/ Êtes-vous exposé à des risques d’affaires, par opposition à ceux liés à votre responsabilité professionnelle ?

/ Avez-vous besoin de financement, et une éventuelle incorporation favoriserait-elle son obtention ?

/ Aurez-vous besoin de surplus afin de réinvestir dans votre activité, ou d’acheter un associé, un concurrent ou une participation dans une autre société ?

/ Quels sont vos besoins financiers personnels et combien de revenus pourriez-vous réellement laisser dans la société, tant à court qu’à long terme ?

/ Prévoyez-vous prendre congé pour une période prolongée à court ou moyen terme (congé de maternité, année sabbatique, etc.) ?

/ Y aurait-il possibilité de vendre votre société et de profiter de la déduction pour gains en capital ?

/ Quelle est l’influence de l’image projetée sur votre décision ?

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