Dans quelques minutes, nous arriverons à l’usine de Gaydon. Si vous saviez le nombre de fois que j’ai rêvé à cet endroit ! Dès que Ford a construit cette usine en 2003, j’ai su que j’allais m’y rendre, un jour ou l’autre, pour y travailler, essayer ou acheter une voiture. Aujourd’hui, ça y est, je vais découvrir l’antre où sont construites les Aston Martin, ma marque de prédilection dans le monde automobile.
Hymne à l’amour
Vous dire que j’aime Aston d’amour serait un pléonasme. J’admire ces voitures, je les adore, je les vénère. Même si les modèles actuels vieillissent et qu’ils ne sont plus à la hauteur de certaines concurrentes, nettement plus modernes, j’aime leur design, leur aura, leurs performances. J’aime, en quelque sorte, leurs défauts qui, selon moi, les rendent encore plus désirables. Et ce n’est certainement pas les épreuves financières que vit actuellement la marque qui viendront à bout de cette mythique anglaise.
Pour une deuxième fois en une journée, la porte de notre véhicule de transport s’ouvre et mon cœur, encore tout secoué de ma visite à Newport-Pagnell (la toute première usine d’Aston), a du mal à se contenir. En deux temps, trois mouvements, je me rue devant l’entrée pour prendre des photos. Une structure d’une hauteur de plusieurs mètres se tient fièrement à droite de la porte d’entrée de l’usine, comme je l’ai si souvent vue dans les images diffusées par Aston. Comme un jeune groupie, je demande qu’on me prenne en photo devant ce symbole de la renaissance d’Aston, au moment où les capitaux affluaient et les voitures se modernisaient, au moment où l’ère de Ford était à son apogée.
À l’intérieur, je découvre une usine impeccable, où s’affairent entre 600 et 700 travailleurs, 1 000 si on tient compte du centre du design que nous n’avons malheureusement pas eu la chance de visiter – secrets industriels obligent ! On y produit entre 4 000 et 5 000 véhicules annuellement, à raison de 15 par jour en moyenne, en fonction des aléas de l’économie et des ventes. C’est très peu, et cela assure une exclusivité certaine aux propriétaires d’Aston Martin. Quant au prix des véhicules, il varie de 130 000 $ à près de 400 000 $.
Des Vantage, des DB9, des Rapide et des Vanquish passent sur des plans impeccables (les Vanquish et les DB9 ont d’ailleurs leur passage exclusif), où se succèdent l’assemblage des suspensions sur des châssis tout en aluminium venant de fournisseurs externes, celui des sièges et des habitacles faits à la main, ou encore celui du montage des moteurs V8 ou V12. On pousse souvent à la main les chariots sur roues pour mener les châssis à la prochaine étape de l’assemblage.
Parlant de moteurs, sachez que la mécanique d’Aston est sur le point d’être changée, alors qu’une entente intervenue entre AMG (la filière de performance de Mercedes) et Aston permettra à cette dernière de bénéficier de moteurs nettement plus modernes. En retour, AMG héritera de 5 % du groupe Aston Martin Lagonda. Avec l’arrivée très récente d’un nouveau président, Andy Palmer, ancien numéro deux du groupe Renault-Nissan, il y a de fortes chances que ce pourcentage augmente, pour le mieux-être de la marque. Aston est en effet l’un des seuls groupes automobiles qui ne sont pas sous l’égide d’un grand constructeur. Même si cela fonctionne sans une telle association, la marque aura tôt ou tard besoin d’un partenariat important pour remettre le design de ses nouveaux véhicules sur les rails, puisque, pour ce faire, il en coûte des centaines de millions de dollars par modèle.
Revenons maintenant à la visite de l’usine. On nous explique qu’il faut environ 50 heures de travail pour peindre une seule voiture. La peinture est vérifiée et poncée à la main entre chaque couche pour donner ce fini si particulier, propre aux grandes exotiques. Selon John Muirhead, le responsable du marketing chez Aston Martin, certaines peintures peuvent coûter jusqu’à 1 850 $... le litre, et il faut 15 heures de plus pour les appliquer. Avec tout ce travail à faire, il faut compter environ trois mois pour fabriquer une Aston Martin, plus un autre mois d’attente si on vit au Canada, sans compter les listes d’attente pour l’obtention d’un modèle.
À la fin de la visite, qui aura duré une demi-journée, je serai complètement repu, comme un bambin ayant trop mangé. Cerise sur le gâteau : John Muirhead, le directeur du marketing mondial de la marque, nous fera l’honneur de venir souper avec nous au restaurant. Chanceux que je suis, c’est à ma table qu’il s’assoira en compagnie de deux autres collègues. Nous passerons la soirée à parler d’Aston, de son histoire, de ses défaites et de ses victoires. Des passionnés qui discutent, qui commentent, qui questionnent un vrai connaisseur, probablement l’un des plus passionnés de tous les hommes du monde de l’automobile que j’ai pu rencontrer au cours de ma carrière. Il n’y avait pas meilleure manière de terminer cette journée de rêve. C’est probablement la raison pour laquelle je n’ai pas fermé l’œil de la nuit… j’avais peur de me réveiller !