S’il est possible d’ajouter de la valeur en sélectionnant les bons comptes dans lesquels épargner pendant sa vie active, on peut également le faire en optimisant l’ordre de décaissement de ses placements une fois à la retraite. Cela nécessite de faire des projections pour évaluer les nombreuses stratégies envisageables, mais pourrait représenter, pour vous et votre famille, des dizaines, voire des centaines de milliers de dollars en plus.
L’importance de la fiscalité et de la valeur temporelle de l’argent
Selon une croyance répandue, on doit simplement vider – dans cet ordre – les comptes non enregistrés, les CELI, les fonds enregistrés de revenu de retraite (FERR) et leurs équivalents comme les fonds de revenu viager (FRV), puis les sociétés de gestion. Il ne s’agit toutefois que d’un conseil générique, fondé sur l’idée fausse qu’il faut à tout prix reporter l’imposition le plus tard possible. Mais la situation de chaque investisseur est unique et il peut être intéressant de payer de l’impôt aujourd’hui pour profiter de taux plus bas.
Pour l’illustrer, imaginez les cas de deux investisseurs disposant de larges sommes enregistrées : l’un au début de la retraite et n’ayant que peu de revenus de rentes, et l’autre dont le décès entraînera des revenus fiscaux élevés en raison de la disposition présumée des actifs. Dans les deux situations, il pourrait être intéressant de décaisser des sommes enregistrées plus rapidement si le taux d’imposition du retrait était plus faible que le taux futur. Il faudrait toutefois s’assurer que la valeur présente des impôts économisés surpasse celle des rendements supplémentaires qui auraient été gagnés grâce au report de l’imposition et à l’effet des rendements composés.
Plusieurs éléments doivent donc être considérés dans l’analyse, tels que le profil d’investisseur et l’espérance de rendement, la manière dont les rendements seront générés, les autres revenus et l’âge de décès visé. Évidemment, cela nécessite un outil de projection poussé qui tient compte de la fiscalité dans tous ses détails : impôts et crédits sociofiscaux, stratégies de fractionnement de revenus, régimes d’épargne et comptes fiscaux, etc.
La situation de chaque investisseur est unique et il peut être intéressant de payer de l’impôt aujourd’hui pour profiter de taux plus bas.
Pour les entrepreneurs et les professionnels incorporés
En présence d’une société, l’analyse doit inclure la fiscalité qui lui est propre. Sans aller dans les détails, il est alors nécessaire de comprendre que la plupart des revenus de placement sont davantage imposés lorsqu’on considère les deux niveaux d’imposition – corporatif et personnel – que s’ils avaient été gagnés directement par l’actionnaire. Pour éviter cette surimposition, il est donc souvent intéressant de décaisser progressivement la société, et particulièrement lorsque cela peut être fait sans impôts, comme pour les dividendes en capital. Les situations où des impôts ont été « payés d’avance » – comme dans les cas de l’impôt en main remboursable au titre de dividendes (dans la société) et de l’impôt minimum de remplacement (au niveau personnel) – favorisent également l’option d’un décaissement imposable plus rapide.
Une mise en garde s’impose cependant : avant d’aller de l’avant, il faut tenir compte des honoraires comptables et légaux liés à la société – qui pourraient par exemple justifier le fait d’attendre d’accumuler un montant plus important avant de vider le compte de dividendes en capital – et songer à la façon dont on disposera de celle-ci. En effet, la facture d’impôt ne sera pas la même dans le cas d’une liquidation que dans celui d’une vente, et certaines stratégies pourraient être mises en place afin de la réduire (par exemple, utilisation de la déduction pour gains en capital, fractionnement de revenus ou stratégie du pipeline), ce qui pourrait mener à des conclusions différentes.
Attention au risque de survie
Globalement, cet exercice pourrait vous permettre de dépenser plus à la retraite, d’accroître votre patrimoine successoral ou de repousser dans le temps l’épuisement de votre capital. Ce dernier point est particulièrement important lorsqu’on réalise qu’avec l’espérance de vie qui augmente et les régimes de retraite à prestations déterminées qui se font rares, les investisseurs dépendent de l’épargne personnelle plus longtemps et dans une proportion grandissante. Une mauvaise stratégie de décaissement peut ainsi compromettre la retraite de beaucoup de gens.
À ce titre, une autre croyance malheureusement répandue veut qu’il faille demander le début du versement des rentes publiques (Régime de rentes du Québec et pension de la Sécurité de la vieillesse) le plus tôt possible pour ne pas laisser d’argent sur la table en cas de décès prématuré. Or, lorsqu’on effectue des projections avec des hypothèses conservatrices telles que celles suggérées par l’Institut québécois de planification financière (IQPF), on constate que les investisseurs s’en retrouvent souvent perdants en ne profitant pas des bonifications des prestations accordées en contrepartie des reports.
Il est donc important d’obtenir des projections pour analyser sa situation individuelle, en utilisant un âge de décès plus avancé que notre espérance de vie (à laquelle on a environ 50 % de chances de survivre), et en considérant que même si on perd de l’argent en cas de décès prématuré, l’alternative – se serrer la ceinture si on vit plus vieux, ou même, survivre à son capital – pourrait être bien pire.
La stratégie optimale
Avant de rencontrer votre conseiller pour faire des projections, prenez le temps de réfléchir à votre retraite, au coût de vie que vous voudrez maintenir, et aux dépenses importantes que vous souhaitez effectuer (achat d’un chalet, rénovations, etc.). La stratégie optimale n’est pas identifiable, a priori, mais planifier vos besoins de manière sérieuse ajoutera de la fiabilité aux projections en diminuant le risque que vous deviez faire des retraits improvisés, et en bout de ligne, que vous ne profitiez pas au maximum de votre épargne.
Pour en savoir davantage : fbngp.ca │ equipeampleman.ca
Olivier B. Ampleman, CFA, CAIA, M. Fisc., Pl. Fin., est conseiller en gestion de patrimoine et gestionnaire de portefeuille dans l'Équipe Ampleman de la Financière Banque Nationale Gestion de patrimoine