Rassembleur. Le qualificatif sied parfaitement au président et chef de la direction de l’Aéroport international Jean-Lesage de Québec, Stéphane Poirier. « Nul ne peut tout faire en solitaire, seule la force d’une équipe compétente, motivée et dédiée à la cause de l’organisation permet d’obtenir des résultats », assure-t-il. C’est aussi vrai pour l’administration aéroportuaire, dont l’efficacité dépend de sa capacité à impliquer la région qu’elle dessert dans l’optimisation de la performance de ses installations. Force est d’admettre que cette vision rassembleuse porte déjà ses fruits.
En poste depuis 2019 comme président et chef de la direction de YQB, Stéphane Poirier, qui a grandi à Cap-Rouge, est depuis l’enfance un véritable passionné d’aviation. Il faut voir dans son bureau les nombreux avions miniatures de tous types reçus au cours de sa carrière pour s’en convaincre. « J’avais environ sept ans quand j’ai vu pour la première fois un DC-9 à l’aéroport d’Ottawa, où mon père, fonctionnaire fédéral, m’avait emmené, raconte-t-il. Ce fut le coup de foudre. Je savais que ma vie était désormais liée à ce domaine. »
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« Aujourd’hui, 1,17 million de passagers utilisent l’aérogare, soit 800 000 de plus que l’an dernier. » - Stéphane Poirier, président et chef de la direction.
Études en mécanique moto à la polyvalente de L’Ancienne-Lorette, séjour de trois ans à Miami pour apprendre l’anglais, poursuite de ses études en commerce international à l’Université Concordia pendant quatre ans, puis aux universités d’Innsbruck et Vienne, en Autriche. Revenu au Québec au milieu des années 1990, il accepte un poste de directeur du développement logistique cargo pour Aéroports de Montréal après avoir travaillé pendant quatre ans pour une compagnie aérienne cargo à l’aéroport de Dorval. « C’était un monde fascinant pour moi, nous avions d’importants clients dans le monde entier. »
On le retrouve ensuite à la Société générale de financement, où il acquerra pendant deux ans des compétences financières avant que l’aéroport de Calgary le recrute comme directeur développement passagers et cargo. « Ce qui devait durer quelques années s’est finalement étalé sur deux décennies ! J’étais le second responsable de l’exploitation, le premier pour la commercialisation de la plateforme aéroportuaire, qui fait 10 fois celle de Québec avec 18 millions de passagers en 2018. » Cette année-là, il est embauché par Honeywell Aerospace et déménage à Phoenix, en Arizona. À travers ce parcours, il complète une maîtrise en administration des affaires en Angleterre à la prestigieuse University of Oxford, « j’y tenais absolument ». Depuis qu’il a commencé à prendre l’avion, plus de deux millions de milles aériens se sont accumulés au compteur sur quatre continents. Passionné, disions-nous ?
Un défi attirant
Depuis son départ de Québec, Stéphane Poirier n’avait jamais cessé d’y visiter régulièrement ses parents. Il était donc bien au fait de l’évolution de l’aéroport depuis la privatisation de sa gestion en 2000. Lorsque le poste a été affiché, il s’est dit qu’il pourrait mettre ses compétences au service de la capitale qu’il aime d’un amour profond. « J’étais attiré pour plusieurs raisons, d’abord personnelles, car il s’agit de ma ville natale, qui représentait en outre une occasion en or d’offrir à mes enfants — nés dans l’Ouest canadien — une immersion francophone, eux qui n’avaient jusqu’à ce moment parlé qu’anglais et l’espagnol, la langue maternelle de leur mère. Le fait d’avoir perdu mon père en 2014 m’a aussi fait réfléchir sur les priorités de la vie. Sur le plan professionnel, l’aéroport vivait des controverses dans l’opinion publique, et améliorer ce qui fonctionne moins bien me passionne autant que l’aviation ! J’avais le goût de relever le défi de mieux positionner YQB afin que Québec prenne davantage sa place et obtienne plus de destinations et de vols commerciaux. Depuis quatre ans, nous avons bâti de très belles choses, notre conseil d’administration est engagé, notre équipe de direction et nos employés sont extraordinaires, et une ville entière est maintenant partie prenante du développement de son aéroport. C’est très prometteur pour l’avenir. Aujourd’hui, 1,17 million de passagers utilisent l’aérogare, soit 800 000 de plus que l’an dernier. Quand nous dépasserons le cap des deux millions d’usagers, l’aéroport retrouvera sa santé financière après les impacts de la pandémie. »
Stéphane Poirier en compagnie des pompiers et employés dans le garage de l’aéroport.
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Le désert pandémique
Selon Stéphane Poirier, un bon leader attribue le mérite à son équipe lorsque tout va bien, et s’arroge la responsabilité des contre-performances. Plus rien de cela ne tenait quand tout a été mis sur pause en mars 2020, car c’est l’industrie tout entière qui se voyait soudain paralysée. « Un vrai film d’horreur, d’autant plus qu’en tant que service essentiel, nous ne pouvions pas fermer, se souvient le PDG. Cela dit, exploiter un aéroport pour un ou 250 vols par jour représente à peu près les mêmes dépenses. Nous avons dû couper partout où c’était imaginable, mais à défaut de revenus, essuyant des pertes de plusieurs millions chaque mois, la situation ne pouvait durer indéfiniment. Nous prévoyions un déficit d’environ 100 M$, mais l’hémorragie a été stoppée à près de 80 millions en raison de l’efficacité de notre rigueur budgétaire, la détermination de nos employés et du retour rapide des voyageurs en 2022, surtout que nous nous y étions préparés depuis 2020 pour être en mesure de redémarrer de façon agile. Malgré cela, en tant que gestionnaire, la réduction des effectifs a été terrible à mes yeux. C’était malheureusement le prix à payer pour ressortir encore plus forts de la crise. Toutefois, sur le strict plan du défi à relever, l’exercice a été très stimulant. Mieux encore, l’épreuve a soudé les membres de l’équipe, ils ont développé un sens plus aigu du devoir, générant un fort sentiment d’appartenance et de fierté. Ce qui m’anime le plus désormais, c’est constater que nos gens ont mis l’épaule à la roue, qu’ils se sentent appréciés, écoutés, respectés. Ensemble, nous sommes capables de faire progresser l’organisation au bénéfice des gens de la grande région de Québec. »
Le président et chef de la direction en réunion avec son comité exécutif.
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Rassembler pour mieux répondre aux besoins
Au-delà de toutes ses conséquences négatives, cette pause a permis aux équipes de l’aéroport d’adapter plus que jamais les services aux besoins exprimés par la population de Québec. « Nous avons consulté la communauté, et trois récriminations principales sont ressorties, résume Stéphane Poirier. Nos frais de stationnement étaient jugés trop élevés, notre offre alimentaire décevait, et il manquait de vols sans escale. Nous avons d’abord corrigé ce que nous pouvions contrôler, en revoyant notamment à la baisse notre grille tarifaire de stationnement et en créant l’hiver dernier près de 40 % d’espaces supplémentaires. Résultat ? Nos revenus ont augmenté sans compter qu’aucun client n’a été refusé faute de place. Voilà un bel exemple de travail d’équipe. » Par ailleurs, pendant longtemps décriée, l’offre alimentaire a été améliorée l’année dernière avec l’ouverture du Blaxton Aéroport de Québec et de la Brûlerie Rousseau par Nourcy, en plus d’une zone événementielle.
C’est sur le plan des zones d’influence que la participation des intervenants régionaux a été sollicitée. La présence d’Air France à Québec l’illustre de belle façon. Devant le souhait de la clientèle de disposer d’un plus grand nombre de vols directs, le transporteur français a été approché. « En raison de son volume réduit, YQB ne peut à lui seul convaincre une compagnie aérienne, explique M. Poirier. Nous avons donc fait le tour de l’ensemble des parties prenantes : les maires de Québec et Lévis, la ministre du Tourisme, Destination Québec cité et le Centre des congrès de Québec. Toutes les ressources collectives ont été rassemblées autour d’un objectif commun. Ce n’était plus un aéroport, mais une ville entière qui courtisait un transporteur. Et ça a fonctionné ! Toute la région en bénéficie, car ce moteur de développement économique a généré en 2019 des retombées de 1,14 milliard de dollars et 100 millions en taxation en plus de ses 5 000 emplois. » Outre Paris, Londres est desservi par Air Transat, les Anglais ayant un faible notoire pour Québec. À cela s’ajoutent des vols directs vers Vancouver et Calgary, très appréciés par les gens d’affaires, en plus de liaisons avec Halifax et Edmonton à compter de l’été 2023, sans oublier le retour des vols sur Ottawa, Montréal et Toronto. L’offre de destinations comprend même l’Amérique centrale et l’ensemble des Caraïbes. « Bref, à l’été 2023, notre desserte sera sans précédent dans l’histoire de l’aéroport. Bien sûr, la clientèle doit être au rendez-vous pour que les liaisons perdurent et se multiplient. Actuellement, les voyageurs de Québec répondent bien ! », se réjouit le PDG.
Aéroport de choix… à échelle humaine
Dans ce marché modeste, YQB a l’avantage de permettre aux voyageurs de s’épargner les fastidieuses attentes (maximum de 15 minutes pour passer le point de contrôle préembarquement), et les changements de cap sont plus rapides. Son talon d’Achille réside toutefois dans ses revenus limités, qui requièrent une gestion financière chirurgicale. « Par exemple, il y a longtemps qu’on parle d’un centre de prédédouanement, précise M. Poirier, mais en vertu de nouvelles règles, la masse salariale des douaniers — 10 M$ par année — nous incombe. Avec un volume plus substantiel, la facture refilée aux passagers serait négligeable, ce qui n’est pas le cas ici. Les avancées technologiques pourraient être une solution. Cela dit, ce qui importe avant tout, pour l’équipe qui m’entoure et moi, conclut-il, c’est que notre aéroport demeure pour Québec une installation de choix… à échelle humaine ! »