Il y a bien des façons de découvrir une ville. Et c’est souvent la première impression qui reste la plus longtemps gravée dans nos mémoires. C’est avec beaucoup d’émotion qu’en 1936, Marius Barbeau a raconté comment il avait découvert le Vieux-Québec.
De cet auteur, qui fut l’un des plus prolifiques et des plus populaires dans le Québec de la première moitié du 20e siècle, le livre Québec : où survit l’ancienne France conserve, encore de nos jours, beaucoup de cachet et de charme. D’autant plus qu’il fut édité en plein cœur du Vieux-Québec, à la bonne vieille Librairie Garneau de la rue Buade.
Marius Barbeau, vers l’âge de 60 ans.
De plain-pied dans la féerie
Marius Barbeau vit le jour à Sainte-Marie de Beauce, en 1883. Les temps étaient difficiles. Il suivit ses parents, Marie Morency et Charles Barbeau, aux États-Unis où ils espéraient trouver un sort meilleur. Puis sa famille prit le train du retour qui les ramena dans leur patrie et les débarqua à Lévis. « J’étais tout jeune enfant, racontait Barbeau, lorsque pour la première fois, je vis la vieille ville de Québec, et l’impression que j’en reçus n’est pas encore effacée; c’était si différent d’Omaha et de Clayton, aux États-Unis, où mes parents avaient passé un an ou deux ! En revenant au pays, nous étions descendus du train près du vaste fleuve et nous étions montés sur un bateau dont les grandes roues, de chaque côté, battaient l’eau verdâtre, et dont la forme pansue me fit penser à une énorme grenouille. Le beau promontoire, surmonté d’une citadelle, sur le côté opposé, semblait tout prêt à nous décocher des traits. Les remparts crénelés, les tourelles et les clochers de la ville évoquaient des contes de la chevalerie ou des récits merveilleux. Nous entrions de plain-pied dans la féerie. »
Les couvertures de deux livres que Marius Barbeau a consacrés au Vieux-Québec.
Il est vrai qu’il n’y a pas de plus belle façon de découvrir Québec que d’y arriver par le fleuve. C’est sur la berge de ce fleuve que Samuel de Champlain a construit son habitation en 1608. Et il fut le premier à faire ériger des fortifications sur la falaise, le fort Saint-Louis, en 1620. Puis son successeur, le gouverneur Charles Huault de Montmagny, décida, en 1636, que la basse-ville, près du fleuve, serait consacrée au commerce et aux activités portuaires, alors qu’il destina la haute-ville aux fortifications, aux institutions religieuses, éducatives et hospitalières, ainsi qu’aux résidences des bourgeois et des nobles. Ce qui fut fait et c’est cette ville qu’aperçut le jeune Barbeau trois siècles plus tard.
Le Vieux-Québec l’a toujours ému
Après avoir fait son cours classique au collège de Sainte-Anne-de-la-Pocatière, Marius Barbeau vint faire ses études de droit à l’Université Laval, à l’époque située dans le Vieux-Québec. Il y eut comme collègue d’études le futur premier ministre Louis S. St-Laurent, avec qui il demeurera lié.
Finalement, Barbeau ne pratiqua jamais le droit, car le recteur Olivier-Elzéar Mathieu put lui obtenir une prestigieuse bourse Rhodes qui lui permit d’aller poursuivre des études en Angleterre. C’est ainsi que le jeune Barbeau se rendit étudier l’anthropologie à Oxford. Ce qui déplut à son père, car ce dernier aurait préféré avoir un fils avocat. De retour au Canada, il entra au Musée national du Canada à Ottawa en 1913, et il connut une longue et érudite carrière, produisant et publiant de nombreux travaux sur les traditions et coutumes, les contes et les chansons des Amérindiens et des Canadiens français. Assez fréquemment, il revint à Québec pour des recherches, des congrès, ou des cours qu’il donna à l’Université Laval. « Mais chaque fois que j’y reviens, notait-il un jour, un souvenir du premier enchantement m’émeut encore. »
Un Vieux-Québec normand
« Elle a un air normand », disait Barbeau de la vieille ville de Québec. Ayant visité la France, il avait retrouvé en Normandie les racines et influences du Vieux-Québec. Et il le décrivait ainsi en 1936 : « Ses ruelles tortueuses vous gobent aussitôt que vous mettez le pied sur ses quais; on pourrait presque sauter d’un trottoir à l’autre, tant certaines impasses sont étroites; on se croirait dans certaines villes de Normandie. »
Comme au théâtre ou à l’opéra
Il est intéressant, et même étonnant, de voir comment Barbeau percevait les gens de Québec. « D’année en année, disait-il, des visages familiers se trouvent; ils repassent chaque jour, à la même heure. Tout le monde paraît être endimanché ou en vacances. Par contraste avec le reste de l’Amérique, l’étranger y observe des physionomies curieuses, parfois romanesques, telles que l’on en voit au théâtre ou à l’opéra. Des franciscains passent en sandales; des religieuses, deux par deux, le long des murs de pierre blanchie, sont comme des ombres qui glissent. Les matines, puis l’Angélus, sonnent aux clochers des monastères. » Et voici comment il entendait le parler des gens du Vieux-Québec : « L’accent parisien côtoie dans la rue celui qui, propre à Québec, se permet le grasseyement et des licences rustiques. »
Dans cette ville nordique, on appréciait la saison estivale. « Sur les terrasses, constatait Barbeau, les bancs, face au fleuve, invitent à profiter de la belle saison. On y entend les éclats de rire des enfants qui, sur les remparts, chevauchent les vieux canons, jouent sur les pyramides de boulets, et quelquefois s’engagent dans une ronde en chantant Sur le pont d’Avignon ou Il était une vieille grand-mère, digne, dindaine. »
C’est à Ottawa que Marius Barbeau décéda en 1969. Douze ans auparavant, il avait consacré un dernier livre à la ville de Québec, lui aussi édité par la Librairie Garneau. Et le nom qu’il avait donné à son livre révélait une fois de plus son émerveillement toujours vivace : J’ai vu Québec.