L’aumônier du grand roi Louis XIV
Jean-Baptiste de La Croix de Chevrières de Saint-Vallier, comme son nom le révèle, appartenait à la grande noblesse. Originaire du sud-est de la France, il vit le jour à Grenoble en 1653. Il monta à Paris poursuivre sa formation au Séminaire Saint-Sulpice. Il n’avait que 23 ans lorsqu’il commença à résider, en 1676, au palais de Versailles, y occupant les fonctions d’aumônier ordinaire du roi. Il y fuyait les banquets et les honneurs. On raconte que Louis XIV le trouvait trop austère et plutôt ennuyeux. C’est pourquoi, en 1685, il ne s’opposa point à le voir partir pour Québec. Mgr de Laval, qui s’était rendu auprès du roi pour lui offrir sa démission, réclamait Saint-Vallier comme successeur. Ses contacts en France lui en avaient parlé avec beaucoup d’éloges.
Pas facile de succéder à un saint homme
En attendant d’être sacré évêque, l’abbé de Saint-Vallier débarqua à Québec en 1685 en tant que grand vicaire. Il entreprit une tournée du vaste diocèse de Québec, qui le mena jusqu’à Montréal et jusqu’en Acadie. À Québec, il s’établit au Séminaire. La tenue de longs entretiens avec des jésuites , dans une chambre à porte fermée, froissa la susceptibilité des prêtres du Séminaire, car aucun d’entre eux n’y était invité.
En 1688, Saint-Vallier fut sacré évêque à l’église Saint-Sulpice de Paris. Il revint donc à Québec avec tous les pouvoirs. Mais jamais il ne connaîtra la popularité de Mgr de Laval, qui s’était retiré au Séminaire de Québec. Cela le blessera et il verra toute critique comme une marque de désaveu. Il se montrera intransigeant, se brouillant avec les Jésuites, les Récollets, les gouverneurs et les intendants.
Un brin chicanier, quelque peu rancunier
Dès l’automne de 1688 débuta la longue querelle entre Saint-Vallier et le Séminaire. Précisons que Mgr de Laval avait fait du Séminaire, à la fois une maison de formation et une « communauté » formée des curés de toutes les paroisses de la colonie. Les prêtres du Séminaire refusèrent de renoncer aux privilèges que leur avait accordés Mgr de Laval. En 1692, Saint-Vallier réforma l’administration des paroisses. À l’avenir, les curés ne seront plus unis au Séminaire, mais relèveront de l’évêque.
Saint-Vallier n’aimait point le théâtre. Le gouverneur Frontenac raffolait des pièces de Molière. Il voulut faire jouer le Tartuffe dans son château en 1694. L’évêque demanda aux curés de condamner le théâtre et le lieutenant Jacques de Mareuil, qui s’apprêtait à jouer Tartuffe. Saint-Vallier se disputa aussi avec le gouverneur Vaudreuil. Rancunier, il refusa, lors de la mort du gouverneur, de faire sonner le glas à la cathédrale.
L’Hôpital Général, sa grande œuvre
Québec avait déjà un Hôtel-Dieu pour ses malades. Il lui manquait une institution pour accueillir les vieillards, les orphelins et les aliénés. Saint-Vallier s’y attaqua. Pour ce faire, il fit l’acquisition, en 1692, du couvent des Récollets, situé près de la rivière Saint-Charles. Malgré les réticences des dirigeantes de l’Hôtel-Dieu, qui soulignaient leur manque d’effectifs, il força les hospitalières à prendre la charge du nouvel Hôpital Général en 1693. Il sépara, en 1699, les communautés de l’Hôtel-Dieu et de l’Hôpital Général. Leur dévouement fut remarquable. L’œuvre de l’Hôpital Général, devenu de nos jours un CHSLD, se poursuit.
Le prisonnier des Anglais et de Louis XIV
En 1700, Saint-Vallier s’embarqua pour la France. Il y fit imprimer, en 1702, son rigoriste Catéchisme du diocèse de Québec. En route pour le Canada en 1704, il vit son vaisseau attaqué par la flotte anglaise près des Açores. Il fut fait prisonnier de guerre et gardé durant cinq ans dans des maisons près de Londres.
Enfin libéré en 1709, lors d’un échange de prisonniers, Saint-Vallier se rendit à Paris. Un nouveau malheur l’attendait. Louis XIV, craignant de nouvelles disputes, ne lui permettait pas de retourner à Québec et souhaitait sa démission. Ce ne fut que quatre ans plus tard qu’il consentit enfin à le laisser rentrer à Québec
Un pauvre parmi ses pauvres
Lorsque Saint-Vallier débarqua à Québec en 1713, après 13 ans d’absence, les Québécois eurent peine à le reconnaître tellement il avait vieilli. Il décida de ne plus habiter le majestueux palais épiscopal qu’il s’était fait ériger dans le haut de la côte de la Montagne. En échange de blé pour les pauvres, il céda à la paroisse de Neuville le beau baldaquin aux colonnes torsadées qui surplombait le maître-autel de sa chapelle (on peut encore l’admirer dans l’église de Neuville).
L’évêque s’établit dans une modeste chambre de l’Hôpital Général. C’est là qu’il vivra les 14 dernières années de sa vie, entouré de pauvres.
Un enterrement précipité
À l’automne de 1727, la santé de Saint-Vallier se détériora. À la Toussaint, il cessa de célébrer des messes à la cathédrale. Il déclarait à ses religieuses de l’Hôpital Général : « Oubliez-moi. Occupez-vous de mes pauvres. »
Le matin de Noël, il reçut la visite du gouverneur Beauharnois. Il mourut dans la nuit qui suivit. Dans les jours qui suivirent, les chanoines se querellèrent sur qui devait présider les funérailles à la cathédrale, le 4 janvier 1728. L’intendant Claude-Thomas Dupuy, exécuteur testamentaire, précipita les événements. Les obsèques de l’évêque furent célébrées à la hâte et en cachette à la fin de l’après-midi du 2 janvier à l’église de l’Hôpital Général. L’intendant voulait s’assurer que le défunt fut inhumé dans cette institution. C’était aussi le vœu des religieuses. Lorsque le vicaire capitulaire Boullard apprit cela, sa colère fut terrible. Il accourut à l’Hôpital Général, jeta l’interdit sur l’église et releva de ses fonctions la supérieure, la mère de Saint-Augustin. Quant au père jésuite de La Chasse, il se vit interdire d’occuper sa charge de confesseur durant plusieurs mois. Cette affaire mit fin à la carrière de l’intendant Dupuy à Québec. Il fut rappelé en France pour rendre des comptes.
De nos jours, on peut encore voir le tombeau de Saint-Vallier dans l’église de l’Hôpital Général. Il est surmonté d’une belle verrière nous le montrant priant calmement. Plus personne ne lui en veut.