On sait déjà qu’en cette année 2014, la basilique cathédrale Notre-Dame de Québec sera la grande attraction touristique de la ville de Québec. Sa nouvelle porte sainte, remarquable oeuvre d’art, est la première à être autorisée hors de l’Europe et attirera certes bien des pèlerins et curieux.
Et le tout nouveau Musée Notre-Dame suscite déjà l’admiration des amateurs d’art et de patrimoine. Nous vous faisons découvrir ici un lieu où les visiteurs n’ont pas accès : la vénérable sacristie de la basilique-cathédrale. Et cette sacristie est encore hantée par l’un de ses anciens sacristains : monsieur Sylva. Vous ne le connaissez pas ? Qu’il en serait fier ! Il a toujours voulu passer inaperçu.
Un Leclerc de l’île
Notre Sylva Leclerc est né sur l’île d’Orléans en 1870. Il appartenait à la grande famille des Leclerc de Saint-Pierre. Le plus célèbre d’entre eux, le grand chansonnier Félix Leclerc, repose d’ailleurs dans le cimetière de cette paroisse. Curieux prénom que celui de Sylva, mais notre sacristain l’avait hérité de son père qui, lui-même, s’appelait Jean-Sylva Leclerc.
Le jeune Sylva fit ses modestes études primaires sur l’île. Puis, sachant lire et compter, il traversa à Québec, comme beaucoup de jeunes Orléanais, pour pouvoir gagner sa vie. Il avait 18 ans lorsqu’en 1888, le curé François-Xavier l’engagea à la basilique-cathédrale. Auprès d’un vieux sacristain, Sylva apprit son métier. Un métier empreint de dignité et de sacré. Il commença par les plus humbles tâches : faire le tour des bénitiers, changer les lampions, vider les troncs, sonner les cloches. Dix-neuf ans plus tard, ce fut à son tour de devenir le sacristain en chef.
Il ne manqua qu’un matin
Sept jours sur sept, Sylva débarrait les portes et entrait dans la sacristie avant cinq heures du matin. On raconte que durant 48 ans de service, il ne manqua qu’un seul matin. Et l’absence était amplement justifiée, son épouse étant gravement malade. Monsieur Sylva avait un horaire bien précis. « On aurait pu, disait Cyrille Labrecque, régler nos montres sur ses allées et venues. » Dès six heures du matin, un prêtre célébrait une première messe. Puis, les chanoines arrivaient pour leurs offices canoniaux. Ensuite, les enfants de choeur et les vicaires envahissaient la sacristie, se préparant pour les messes, les funérailles et les mariages qui se succédaient.
L’impeccable rangement
Tout devait être bien ordonné dans la moindre armoire et le moindre tiroir de la sacristie. Monsieur Sylva avait une multitude de vêtements sacerdotaux à ranger. Il y en avait de plusieurs couleurs. Par exemple, les prêtres portaient du noir pour les funérailles, du violet pour le carême, du rouge pour les fêtes des martyrs ou du rose le dimanche de la Quasimodo. Chacun des prêtres devait trouver rapidement ce dont il avait besoin.
Le bon jugement du sacristain
Monsieur Sylva, assez corpulent, ne manquait pas de prestance, marchant la tête haute. Il n’avait peut-être pas beaucoup d’instruction, mais cela ne l’empêchait pas de donner son opinion sur les sermons qu’il entendait prononcer par les prêtres, dont certains avaient même étudié dans de grandes universités à Rome. Mais on dit qu’il le faisait en mesurant bien ses paroles. À tous ceux qui s’adressaient à lui, monsieur Sylva répondait avec bienveillance, quel que soit leur rang. Lui qui venait de la campagne savait juger les gens de la ville. « Pour être charitable, Sylva Leclerc ne restait pas naïf », disait Cyrille Labrecque. Ce dernier l’avait vu esquisser un subtil sourire après avoir répondu à un tel ou à une telle. Sylva Leclerc était d’une honnêteté telle qu’un journaliste disait de lui qu’il n’aurait jamais pris un bout d’épingle qui ne lui appartint pas.
Le plus important des bedeaux
Lors de cérémonies, les paroissiens pouvaient parfois apercevoir monsieur Sylva, se déplaçant avec discrétion, d’un pas feutré, vêtu de son traditionnel costume de sacristain : une longue et ample robe noire chevronnée d’or. À la grand-messe, alors que défilait une longue procession dans la grande allée, monsieur Sylva, par une porte dérobée, venait prendre place dans le choeur, à l’arrière des stalles des chanoines. Les paroissiens le voyaient à peine, mais lui voyait tout. Il n’aurait pas changé de poste avec le premier ministre. N’était-il pas le plus important de tous les bedeaux de Québec ? Mais il en est des sacristains comme des autres humains, l’éternité n’est pas de ce monde. Une terrible maladie le força à quitter son poste en 1936 et il mourut en 1947.
Sources des illustrations : Les photographies de la sacristie ont été réalisées par Daniel Abel, photographe officiel de la basilique-cathédrale. La photographie de Sylva Leclerc provient de l’Album souvenir de Notre-Dame de Québec, 1947.