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Un voyage à Rome qui se termina bien mal

4 avril 2013| Jean-Marie Lebel, historien

Un voyage à Rome qui se termina bien mal

L’année 1950 s’est conclue

de façon tragique à Québec.

D’ailleurs, la seule mention

du nom « Obiou » éveille

encore de nos jours des

souvenirs douloureux chez de

nombreuses personnes de la

région de Québec.

Et pourtant, il y avait eu tant de bonheur

sur le quai de l’Anse au Foulon de

Québec, en cette journée de la mi-octobre

1950, lorsque les passagers s’y étaient

embarqués pour l’Europe. On ne pouvait

point se douter alors que l’on ne reverrait

plus jamais plusieurs des personnes qui

montaient à bord ce jour-là.

LE VOYAGE DE LEUR VIE

Tout s’était organisé rapidement. Le

15 septembre 1950, au Palais Montcalm,

l’archevêque de Québec, Mgr Maurice

Roy, avait lancé une campagne pour

envoyer une délégation québécoise à

Rome afin d’assister à la proclamation

du dogme de l’Assomption de la Sainte

Vierge et à la béatification de Marguerite

Bourgeoys par le pape Pie XII. En peu de

jours, des paroisses et des organisations

répondirent à l’appel de Mgr Roy et

désignèrent leurs délégués. Et, un mois

plus tard, le 13 octobre, Mgr Roy et ses

délégués montaient donc à bord du navire

S.S. Columbia. Pour plusieurs d’entre eux

(des gens issus de milieux relativement

modestes), c’était leur premier voyage en

Europe. Certains concrétisaient enfin un

rêve.

Le soir du 22 octobre, les pèlerins de

Québec arrivaient à Lisbonne, capitale du

Portugal, afin de se rendre au sanctuaire

de Fatima. Puis, en train, traversant

l’Espagne, ils parvinrent au sanctuaire

de Lourdes, dans les Pyrénées, en France,

où le temps était pluvieux. De là, ils se

rendirent à Rome afin de participer à de

grandes cérémonies à la basilique Saint-

Pierre les 1er et 12 novembre. Ils eurent la

faveur d’obtenir une audience spéciale

avec le pape Pie XII qui connaissait assez

bien Québec, ayant été un ami du cardinal

Villeneuve.

L’OBIOU SE DRESSAIT DEVANT EUX

Les grandes fêtes de Rome terminées,

l’heure du retour avait sonné. Le 13 novembre, à l’aéroport de Rome,

les pèlerins de Québec montèrent à bord

d’un avion de la Curtiss-Reid nolisé à leur

intention et baptisé Le Pèlerin canadien.

C’était un Skymaster DC-4. Prirent donc

place dans l’avion 58 personnes, dont

les 7 membres d’équipage. Ces derniers

étaient aussi des Canadiens. Le capitaine

Olmstead, commandant de bord, âgé de

28 ans, était un Montréalais.

L’avion s’envola pour Paris. Il avait à

survoler les Alpes. C’est là que se produisit

le drame. Pour des raisons que l’on ignore,

l’avion dévia de sa route et alla s’écraser

sur une paroi élevée du massif de l’Obiou,

dans les Alpes françaises. À une bonne

distance de là, dans des hameaux, à l’heure de l’angélus du soir, des habitants

entendirent une détonation. Que s’est-il

donc passé ?


Une hypothèse, assez plausible, veut que

ce fût un acte terroriste qui provoqua

l’accident. C’était au temps de la guerre

froide entre les États-Unis et l’Union

soviétique. Une bombe aurait-elle été

placée à bord de la soute à bagages ? Un

intrus aurait-il tenté de s’emparer des

commandes de l’avion pour le détourner

vers un autre pays ? On ne le saura

probablement jamais.


Le lieu où l’avion s’était écrasé fut repéré

à l’aide de longues-vues. Mais l’accès

en était fort compliqué. Ce furent de

braves montagnards, des alpinistes

qui, souvent au péril de leur propre vie,

réussirent finalement, après cinq heures

de montée et d’escalade, à atteindre la

carcasse de l’avion. Parmi ces volontaires,

il y avait Louis-Edmond Hamelin, alors

étudiant à Grenoble, et qui devint plus

tard le célèbre géographe de la nordicité

québécoise. Lui et les autres chercheurs

ne trouvèrent aucun survivant. Les

cadavres étaient mutilés et éparpillés. Ils

furent descendus, non sans peine, jusqu’à

l’école du hameau de La-Croix-de-la-Pigne,

où ils furent déposés dans des cercueils.

Un cortège les amena à la cathédrale

de Grenoble pour des funérailles. Pas

moins de 40 000 personnes étaient sur les

trottoirs pour rendre hommage au triste

convoi se rendant au cimetière. À Rome,

le pape Pie XII, bouleversé par la tragédie et qui avait encore en mémoire les figures

des victimes, fit chanter une messe de

requiem à sa basilique Saint-Pierre.


QUE DEMEURE LEUR SOUVENIR

Lorsque les chaînes de radio de Québec,

CBV, CHRC et CKCV, annoncèrent la

catastrophe qui venait de se dérouler

dans les lointaines Alpes, ce fut la

consternation. Beaucoup de gens de

Québec perdaient un parent ou un ami.

Le populeux faubourg Saint-Jean-Baptiste

perdait son curé Martel. La paroisse

Saint-Sauveur perdait son maître-chantre

Paquet. Les cercles Lacordaire, qui

combattaient l’intempérance, perdaient

leur président général Ellyson. Puis, les

Québécois apprirent que les corps des

victimes ne seraient pas rapatriés au

Canada. Des funérailles furent quand

même célébrées à la cathédrale et dans

plusieurs églises de la région de Québec.

Les cercueils des victimes furent d’abord

déposés dans une chapelle en marbre

blanc du cimetière de Grenoble, en

présence de Mgr Maurice Roy. Puis,

trois ans plus tard, les cercueils furent

transportés dans un cimetière aménagé à leur intention au sanctuaire de Notre-

Dame de La Salette. Appelé « Cimetière

canadien », il est dominé par les Alpes.

Depuis lors, chaque année, des Québécois

s’y rendent en pèlerinage. À Québec, dans

l’église Saint-Jean-Baptiste, un mémorial

rappelle le souvenir des victimes de la

terrible tragédie de l’Obiou.

SOURCE DES ILLUSTRATIONS :

La brochure commémorative La tragédie de l’Obiou,

publiée en novembre 1950.

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